Selon un sondage de l’IFOP pour la Fondation Jean-Jaurès et Conspiracy Watch, site Web émanant de l’Observatoire du conspirationnisme et des théories du complot, un quart des Français estiment que le SARS-CoV-2 a été créé par une main humaine. L’hypothèse sème le doute chez beaucoup, même chez ceux qui n’y adhèrent pas. Pourtant, même si on ne connaît pas très exactement l’origine du virus, les recherches scientifiques ont établi, et ce dès le début de l’épidémie, que sa séquence génétique est naturelle. Aurait-on tous perdu nos réflexes raisonnables ? « Qu’on soit en télétravail, en chômage partiel ou qu’on garde ses enfants, on passe mécaniquement plus de temps sur les écrans, et donc on partage plus », explique Cyril Di Palma, délégué général de l’association Génération Numérique. « Face au déferlement d’informations, les précautions prises par les internautes n’existent pas ou peu. De plus, dans ce contexte d’épidémie, qui touche à la santé, nous sommes tous concernés ; il y a plus d’attention à ce qu’il se dit et donc aux théories complotistes. »
À la veille des premières mesures de confinement en France, personne ou presque n’a échappé à ces messages transférés de contact en contact, annonçant un couvre-feu, le déploiement de l’armée, des restrictions de déplacement. S’il y avait un fond de vérité, ils étaient très exagérés. Largement partagés sur tous les réseaux sociaux, ils commençaient tous par une variante de « C’est l’ami d’un ami qui travaille à l’Assemblée nationale / à l’hôpital / au gouvernement qui le dit ». Ce fait a été observé dans tous les pays touchés par l’épidémie.
Les soi-disant remèdes pour prévenir ou guérir se sont aussi propagés : bain de soleil, gargarismes de vinaigre blanc, pour les moins dangereux… Et avec eux, les accusations de vaccins empoissonnés et de complot des milliardaires pour réduire la population mondiale – pour les plus dangereuses.
« L’épidémie nous renvoie à nos peurs, celle de la mort, de la gestion des malades, de la contamination… et les émotions sont un des plus gros leviers des fake news », précise Cyril Di Palma. « Les médias traditionnels ont également plongé dedans, avec des chroniqueurs qui balancent à des millions de personnes des théories un peu fumeuses, sans aucune vigilance, ou bien Le Parisien qui demande à “des Français” sans aucune compétence s’ils pensent que la chloroquine serait efficace. Tout cela attise les problèmes et réduit l’importance de la parole de l’expert. »
La communauté scientifique, pourtant très mobilisée, ne rencontre gère la confiance de l’opinion publique. Il n’y a qu’à voir le nombre de vidéos qui prétendent prouver que le virus a bien été fabriqué en laboratoire. Sans aucun doute, il y a une crise de confiance vis-à-vis des gouvernants, des experts et des médias.
Internet donne à chacun l’impression formidable d’avoir accès à toutes les connaissances. « Il y a une psychose et toujours ce doute face à ce qui circule sur les réseaux sociaux : l’information émane-t-elle d’un complotiste délirant ou d’un lanceur d’alerte à prendre au sérieux ? » analyse le délégué général de Génération Numérique. « Pourtant, si tout semble bafoué, on reste sur la règle des 80/20 : ce sont les 20 % les plus bruyants qui occupent 80 % de l’espace de parole. Il reste une majorité silencieuse qui ne partage pas et ne se fait pas avoir. »
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a lancé une grande stratégie de lutte contre ce qu’elle appelle l’« infodémie ». Début mars, dans une conférence de presse, son directeur général expliquait que la plus grande menace n’était pas le virus lui-même, mais les rumeurs qu’il engendrait. Pour faire face, l’OMS tient à jour sur son site les informations validées et multiplie les partenariats pour diffuser les bonnes informations, que ce soit avec Facebook, Twitter, TikTok ou encore Whats App. Plus un pays est touché par l’épidémie, plus les théories du complot explosent. Tout le monde a besoin de se rassurer par rapport à l’avenir. Il serait tentant de croire qu’un simple bain de soleil garantit contre la maladie plutôt que de faire face à l’attente sans terme connu d’un traitement ou d’un vaccin. « On a tous envie de partir, de sortir au plus vite, de retrouver notre vie d’avant », résume Cyril Di Palma. « On veut tous y croire, mais croire, ce n’est pas savoir. »
Juliette Loiseau
Illustration : © Fanatic Studio / Gary Waters / S / FST / Science Photo Library via AFP
0 commentaire