La polémique risque là de gagner les rangs des fidèles, sollicités pour réparer eux-mêmes financièrement les erreurs et les errements de leurs évêques !
« Nous sommes conscients qu’aucun dispositif ne peut rattraper ce qui s’est passé. Nous demandons avec humilité à renouer une relation », a déclaré, dimanche, Éric de Moulins-Beaufort dans son discours de clôture de l’assemblée plénière des évêques à Lourdes. L’archevêque de Reims et président de la Conférence des évêques de France est indéniablement déterminé à en finir avec la crise des abus sexuels dans l’Église catholique en France. Un engagement et une conviction que ne partage visiblement pas l’ensemble de l’épiscopat. Mais ni la bonne volonté, ni l’humilité revendiquée par Moulins-Beaufort ne suffisent à préserver la hiérarchie catholique de graves erreurs. À Lourdes, elle a laborieusement accouché d’un dispositif pour faire un geste financier à l’égard des victimes de prêtres pédophiles. D’emblée, celui-ci a suscité incompréhension et levée de boucliers parmi celles et ceux qui ont été abusées sexuellement dans le passé.
Il y a d’abord une erreur manifeste de timing. « Nous ne comprenons pas pourquoi l’épiscopat n’a pas attendu les conclusions de la commission Sauvé », pointe Olivier Savignac, l’une des figures de proue de la lutte contre la pédophilie dans l’Église. Lui s’est battu pendant une douzaine d’années pour faire condamner son agresseur Pierre de Coye de Castelet et l’ancien d’évêque d’Orléans André Fort. Ils l’ont été en novembre 2018, respectivement à deux ans de prison ferme et à huit mois de prison avec sursis. La Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église) ne terminera ses travaux qu’au printemps 2021. Pourquoi cette précipitation ? Éric de Moulins-Beaufort s’est défendu en avançant le fait que des victimes le réclament depuis 2013. Peut-être… Mais l’épiscopat ne redoute-t-il pas plutôt un afflux de demandes ? Ou veut-il rester maître à bord ? En Belgique, les évêques s’en étaient d’abord remis à une commission d’enquête parlementaire. Puis, ils avaient eu recours, en 2012, à une commission d’arbitrage indépendante.
La deuxième erreur réside dans le fait que c’est l’évêque lui-même qui se chargera de prendre contact avec les victimes pour le versement de ce geste financier. Une aberration aux dires de plusieurs d’entre elles. « Certaines victimes ne veulent plus avoir affaire à l’Église et ne souhaiteront pas rencontrer un évêque », insiste Jean-Pierre Sautreau, à la tête d’un collectif en Vendée. Bastion du catholicisme, ce département est secoué depuis un an par un vaste scandale de pédophilie, des centaines d’abus sexuels, commis des années 1950 à 1970 au petit séminaire de Chavagnes-en-Paillers, mettant en cause une quinzaine de prêtres, la plupart aujourd’hui décédés. Là encore, l’épiscopat français est très en dessous de ce qui a été mis en place ailleurs en Europe. En Suisse, c’est une commission indépendante qui se charge depuis deux ans de l’indemnisation des victimes.
Évitant soigneusement le terme d’indemnisation ou de compensation, ce qui équivaudrait à une reconnaissance explicite de sa responsabilité, l’épiscopat promet une « somme d’argent unique et forfaitaire », dont le montant sera décidé lors de la prochaine assemblée plénière. Là encore, le compte n’y est pas pour les collectifs de victimes. Peut-on indemniser de la même manière des abus qui recouvrent des réalités très différentes ? En Belgique, un barème d’indemnisation avait été mis en place en fonction de la gravité des faits et en adéquation avec ce que les victimes auraient obtenu devant la justice des hommes. L’indemnisation pouvait aller jusqu’à 25 000 euros. En France, la « somme forfaitaire » promise par les évêques ne devrait pas excéder une poignée de milliers d’euros.
Pour autant, le coût pour l’Église de France devrait atteindre plusieurs millions. Là aussi, l’affaire risque d’être compliquée, vu l’état dramatique des finances de nombreux diocèses. Un fonds de dotation spécifique sera mis en place. Mais comment sera-t-il alimenté ? Parmi les pistes envisagées : un appel aux dons. La polémique risque là de gagner les rangs des fidèles, sollicités pour réparer eux-mêmes financièrement les erreurs et les errements de leurs évêques !
Bernadette Sauvaget
Des archives bien gardées
Une délégation s’est rendue à Rome il y a quelques semaines pour régler une épineuse question : celle de l’accès de la commission Sauvé aux archives des diocèses. Afin d’éviter tout problème, Éric de Moulins-Beaufort a sollicité en juin un indult (une dérogation). Devant le silence du Vatican, la délégation a sollicité des rendez-vous à la Secrétairerie d’État et à la Congrégation pour la doctrine de la foi. Les deux services de la curie romaine n’ont pas su donner de réponse satisfaisante, se renvoyant mutuellement la balle.