Trouver le titre d’une chanson qui passe à la radio, jouer, travailler, s’organiser, faire du sport… « Il y a une application pour tout » est sans aucun doute l’une des affirmations les plus entendues ces dernières années. Il devrait bien y avoir une application pour lutter contre le coronavirus ? Alors que c’était hors de question initialement, l’idée a fait son chemin au sein du gouvernement. Les Français, sur la base du volontariat, pourraient peut-être utiliser une application nommée « StopCovid » permettant de signaler si l’on est malade, de prévenir toutes les personnes ayant été en contact avec la personne contaminée et de ne confiner ainsi que les populations à risque. C’est le « contact tracing ». Sur le papier, tout est parfait. Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions…
L’application qui nous permettrait de savoir qui est malade et si l’on a été en contact avec la maladie attise toutes les convoitises. Une nouvelle vague de « solutionnisme » technologique déferle. Pas moins de cinq protocoles se disputent le haut du podium pour être à la base des développements et des applications. Apple et Google proposent leurs services – très intéressés. On voit ressurgir Orange, époque France Télécom, qui veut centraliser et gérer l’ensemble. Le gouvernement, quant à lui, veut imposer sa vision à tout le monde, y compris à Google et Apple, qui, eux, se moquent complètement des rodomontades des États.
Plusieurs points font débat quant au développement d’une telle application. Il y a d’abord les freins techniques. Elle ne peut fonctionner sans que Google (Android) et Apple (iOS) modifient leurs systèmes d’exploitation, utilisés par la majorité des smartphones. À l’heure actuelle, une application comme StopCovid ne peut fonctionner en permanence en utilisant le Bluetooth pendant que vous utilisez d’autres applications. En outre, ce dernier, gros consommateur d’énergie, réduit considérablement l’autonomie du téléphone.
Par ailleurs, l’application n’a pas les capacités d’un être humain pour faire la différence entre un vrai et un faux positif. Par exemple, elle détectera comme contact avec une personne malade votre voisin atteint du Covid-19 séparé de vous par un mur. Ou encore, si un caissier se déclare malade cinq jours après que vous l’avez croisé, cela vous sera signalé. Or, votre contact avec lui était « protégé » par une vitre en plexiglas et des masques. Pour un risque minime, vous aurez une alerte qui déclenchera tout un processus de vérification médicale lourd.
Et puis, côté promoteurs de l’application, il y a ce que l’on ne dit pas… Pour qu’elle soit efficace, il faudrait qu’au moins 70 % de la population l’utilise… c’est-à-dire 100 % des Français équipés en smartphones. Sur ce total, combien téléchargeront véritablement l’application ? Combien accepteront de ne disposer que de deux heures d’autonomie s’ils la laissent activée en permanence ? Ce que ne dit pas non plus le gouvernement, c’est que quelques pays ont utilisé une application de ce type et que cela a été un échec. À Singapour par exemple, État pourtant policier, seuls 17 % des habitants avaient installé l’application « TraceTogether », loin des 70 % nécessaires. Jason Bay, directeur du Government Digital Services de Singapour, l’agence qui a développé TraceTogether, explique lui-même les limites de l’application : « Si vous me demandez si un système de “tracing” des contacts par Bluetooth déployé ou en cours de développement, où que ce soit dans le monde, est prêt à remplacer la recherche manuelle des contacts, je vous répondrai sans réserve que non. Pas maintenant et […] pas dans un avenir prévisible. […] Toute velléité de croire le contraire reviendrait à faire preuve d’orgueil et de triomphalisme technologique. Des vies sont en jeu. Les faux positifs et les faux négatifs ont des conséquences sur la vie réelle… et la mort. Nous utilisons TraceTogether pour compléter la recherche des contacts – et non pour la remplacer. »
Ce qui dit en creux Jason Bay, c’est que l’application seule n’est pas efficace. Il faut des dizaines d’enquêteurs, humains cette fois, pour remonter la piste des contaminés. Avec qui ont-ils été en contact ? Ces contacts étaient-ils véritablement à risque ? Seuls ces enquêteurs permettront de faire le tri des faux positifs et des faux négatifs, évitant ainsi l’engorgement du système de santé.
Pour Félix Tréguer, sociologue, chercheur et membre de l’association La Quadrature du net, « cette application renvoie à l’appétence de la société pour la technologie, qui pourrait résoudre des problématiques extrêmement complexes. Il y a une tendance à voir la technologie comme une réponse à tout. C’est évidemment faux ».
Pour l’heure, si la mise en place d’une telle application n’est pas officiellement abandonnée, elle est repoussée à une date inconnue.
Antoine Duchamps
Photo : Marco Verch Professional Photographer and Speaker (CC BY 2.0)
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