La fièvre constitutionnelle est l’une des passions françaises. Dès avant la Révolution, les philosophes des Lumières en sont atteints et travaillent en s’inspirant de l’exemple anglais mais aussi des modèles antiques. Pendant les dix années de la Révolution, de nombreux textes sont rédigés, dont la plupart, s’ils ne seront pas promulgués, constituent toutefois une riche bibliothèque qui a alimenté bien des textes constitutionnels à travers le monde.
La IIIe République, née sur les cendres du Second Empire, ne se fonde pourtant pas sur un grand texte constitutif, puisqu’elle est imaginée comme provisoire en attendant une restauration monarchique qui ne viendra pas. Les lois constitutionnelles de 1875 assureront au régime une pérennité jusque-là inégalée (soixante-cinq ans). Pérennité, certes, mais instabilité aussi d’un régime très parlementaire, qui fait « tomber » les gouvernements.
Contre le gré du général de Gaulle, la Constitution de la IVe reproduit les défauts de celle de la IIIe. Elle sera remplacée en 1958 à son instigation par celle de la Ve République, qui rompt avec les régimes parlementaires précédents et instaure un exécutif fort en installant des procédures dites de « parlementarisme rationalisé », comme le vote bloqué ou le fameux 49.3. Cet étrange régime hybride, avec son exécutif à deux têtes, dure depuis maintenant soixante ans et a le mérite de garantir à la France une grande stabilité gouvernementale.
Le choix d’un scrutin majoritaire à deux tours pour l’élection des députés a pour conséquence d’assurer des majorités amples, ce qui, en ces temps de montée des populismes, protège la France des malheurs de ses voisins, contraints à des alliances fragiles et/ou contre-nature. Mais elle le paye d’une faiblesse récurrente du rôle du Parlement, trop souvent chambre d’enregistrement de lois dictées par l’exécutif.
Pour autant, cette Constitution n’a pas subi moins de vingt-quatre révisions, dont celle de 1962, qui instaure l’élection du président de la République au suffrage universel direct et en fait le véritable chef de l’exécutif – on ne cesse de disserter depuis lors sur les souffrances du Premier ministre. La révision de 2008, en permettant entre autres au président de s’adresser directement aux deux chambres, a franchi un nouveau pas vers la présidentialité du régime.
Dans la réforme qui s’annonce, le président Macron fait un pas de plus en indiquant devant le Congrès qu’il souhaite qu’à l’avenir le président puisse rester pour entendre les réponses des députés et sénateurs et même leur répondre. Même si cela semble frappé au coin du bon sens – une adresse sans réponse a un côté très monarchique –, ce serait là une modification très significative de l’équilibre constitutionnel.
Mais dans la révision de 2018 figurent surtout près d’une dizaine de modifications visant à une rationalisation du travail parlementaire, les unes combattant le travail d’obstruction que peuvent mener les oppositions en déposant des dizaines, voire des milliers d’amendements, les autres permettant de confiner aux commissions une partie du travail législatif, afin que seuls les principes des textes soient discutés en séance plénière. Autant dire qu’une partie du grand « jeu » parlementaire s’en trouvera atteint.
Un autre pan de la réforme vise à réduire le nombre des députés et sénateurs. En ce qui concerne les députés, il est vrai qu’ils ne représentent pas une petite parcelle du territoire national – leur circonscription –, mais la nation entière. Reste à savoir si les moyens de chaque élu seront augmentés en proportion afin d’améliorer la qualité du travail parlementaire et la pertinence des interventions.
L’introduction d’une part de proportionnelle, elle, vise à compenser en partie les effets du scrutin uninominal à deux tours, pourvoyeur de majorités mais aussi négateur des petites formations politiques. S’y ajoute la réforme de l’actuel Conseil économique, social et environnemental, transformé en « Chambre de la société civile ». Il faudra juger à l’usage l’efficacité de la transformation.
La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon a fait campagne sur un changement de régime et l’élection d’une chambre « constituante », sans véritable succès. Les Français et les Françaises semblent toujours très attachés à la Ve République et à son principal totem, l’élection présidentielle au suffrage universel direct. Et si Emmanuel Macron propose quelques retouches, c’est pour mieux l’habiter ; le totem est en passe de devenir un tabou.
Christine PEDOTTI
Photo par Richard Ying et Tangui Morlier [CC BY-SA 3.0 ], from Wikimedia Commons