Deux sur trois. Le 5 novembre, la Chambre des représentants a finalement voté un vaste plan d’investissement de 1 200 milliards de dollars dans les infrastructures (Infrastructure Investment and Jobs Act) après que le Sénat l’avait adopté en août dernier de façon bipartisane. En signant le texte le 15 novembre, le Président l’a transformé en loi.
Il s’agit du second volet de l’ambitieux programme économique de Joe Biden, résumé en un slogan, Build Back Better, qui se décline en trois grandes mesures : l’American Rescue Plan, voté en mars dernier pour atténuer les conséquences de la pandémie de Covid-19, le plan sur les infrastructures, qui doit notamment permettre de rénover les ponts et les routes, moderniser les réseaux électriques et étendre l’accès à Internet, et le Build Back Better Act, un programme de réformes sociales et écologiques, qui comprend des propositions aussi variées que l’instauration de maternelles gratuites, la prise en charge de dépenses de santé ou l’investissement dans des énergies propres. L’enveloppe initiale (chiffrée à 7 300 milliards de dollars), les dispositions et l’agencement des réformes ont été revus à la baisse et modifiés au fil des négociations.
L’adoption de ce plan sur les infrastructures est une véritable victoire politique pour le président démocrate. « Clinton, Bush, Obama et Trump avaient essayé. Biden a réussi », résume Jean-Éric Branaa, maître de conférences à l’université Paris II Panthéon-Assas, spécialiste des États-Unis et auteur d’un ouvrage récent sur Kamala Harris. Mais le vote à la Chambre des représentants a exacerbé certaines divisions internes au parti, entre centristes et progressistes.
Certains parmi ces derniers avaient conditionné leur vote à l’adoption simultanée du Build Back Better Act, craignant que celui-ci ne soit sinon progressivement abandonné. Mais plusieurs députés modérés ont refusé de voter ce plan à 1 750 milliards de dollars sans avoir plus de précisions sur le financement, le fléchage et les conséquences de ces investissements. Finalement, suffisamment de progressistes ont accepté un engagement écrit de plusieurs collègues centristes annonçant qu’ils soutiendraient ultérieurement le Build Back Better Act si l’analyse chiffrée était concluante.
Ces négociations, qui ont duré plusieurs mois, ont probablement influencé les scrutins locaux qui se sont tenus à travers le pays au mois de novembre. Certains ont notamment vu dans la défaite du candidat démocrate Terry McAuliffe à l’élection du gouverneur de Virginie du 3 novembre un message de « ras-le-bol » envoyé par les électeurs au parti démocrate, englué à Washington dans des luttes politiciennes et au Président, incapable de mettre en œuvre son programme. Une analyse que nuance un peu l’histoire. Depuis 1978, en Virginie, à l’exception de l’élection de Terry McAuliffe lui-même à un premier mandat en 2014, le poste de gouverneur a toujours été remporté par le candidat du camp opposé à celui du Président.
« Les démocrates ont perdu à cause de quelque chose qui dépasse la démographie ou tel ou tel problème. Ils ont perdu la “guerre de l’atmosphère” […] Les Américains se sentent minés par la situation générale et, naturellement, blâment le parti au pouvoir », analyse de son côté le journaliste Derek Thompson dans le magazine américain The Atlantic. Les Américains sont notamment touchés par l’inflation qui frappe le pays, la plus élevée depuis trois décennies, avec des prix à la consommation qui ont bondi de 6,2 % en octobre par rapport à l’année précédente. Résultat, Joe Biden n’a pas la cote. Selon le site américain FiveThirtyEight, 51,5 % des Américains désapprouvent son action.
Les élections de mi-mandat, qui se tiendront en novembre 2022, risquent de lui compliquer un peu plus la tâche. L’ensemble des 441 sièges de la Chambre des représentants va être renouvelé, ainsi que 34 des 100 sièges du Sénat. « Tous les pronostics sérieux annoncent que les démocrates perdront la majorité à la Chambre des représentants, rapporte Maya Kandel, directrice du programme États-Unis à l’Institut Montaigne. Il leur reste donc relativement peu de temps pour voter le plan Build Back Better. Les trente dernières années de présidence le montrent, l’essentiel de l’héritage législatif se joue la première année. » La présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a annoncé qu’il serait soumis au vote cette semaine.
Morgane Pellennec
Photo : Maryland GovPics (CC BY 2.0)