Dans l’Union européenne, les zélotes souverainistes se distinguent d’abord des purs tribuns populistes par un discours universitaire, quasi doctoral. Ensuite, la posture souverainiste convient surtout à des ténors politiques et des États membres qui, contrairement au Royaume-Uni, n’ont pas les moyens de se payer le « full exit » de l’Union afin de régler leurs contradictions politiques internes.
Faute d’un contexte économique, et bien souvent d’une opinion publique disponible pour le « grand saut », les souverainistes préfèrent défier le projet européen de l’intérieur par le biais de la provocation juridique. Leur combat s’articule alors autour de la tentation, éminemment populiste, de dévier « souverainement » des valeurs fondamentales de l’Union européenne. Tentation qui pose inévitablement la question de la suprématie du droit européen, laquelle est, de facto, celle de l’état de droit… C’est exactement le cas de la Pologne.
Revenons sur le dernier épisode du contentieux entre Bruxelles et Varsovie. Il porte sur l’indépendance de la justice en Pologne. Or, cette dernière vient ces jours-ci d’être condamnée par la Cour de justice de l’Union (CJUE) à payer à la Commission une astreinte d’un million d’euros par jour. En effet, Varsovie n’a pas mis fin aux activités de la chambre disciplinaire de sa Cour suprême, qui, selon Bruxelles, menace gravement l’indépendance du pouvoir judiciaire en Pologne, en ce qu’elle subordonne les juges aux politiques.
Ce déni d’indépendance des juges polonais et la primauté du droit européen ont, par ailleurs, occupé les débats du sommet européen de fin octobre. D’une part, alors que le chef du gouvernement polonais, Mateusz Morawiecki, s’était engagé en août à abolir ladite chambre disciplinaire, celle-ci continue de fonctionner. D’autre part, le Tribunal constitutionnel polonais a déclaré début octobre certains articles des traités européens incompatibles avec la Constitution polonaise. C’est une attaque sans précédent contre la primauté du droit européen et la compétence de la CJUE, l’objectif étant de s’extraire de la règle commune en matière de valeurs fondamentales en restant dans le « juteux » marché unique européen.
Pour l’heure, Mateusz Morawiecki accuse la Commission de lui mettre « un pistolet sur la tempe », dans une escalade verbale qui le mène à évoquer « la Troisième Guerre mondiale ». Réponse excédée du Premier ministre belge, Alexander De Croo : « Vous jouez à un jeu dangereux, vous jouez avec le feu lorsque vous partez en guerre contre vos collègues européens pour des raisons de politique intérieure. » Peut-être faudrait-il juste rappeler que le strict respect de l’état de droit est l’invariable condition préalable à toute adhésion au prospère « club Europe »…
Henri Lastenouse