« Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l’homme sont violés. S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré. » Cette phrase du père Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde, gravée sur la dalle du parvis des Droits de l’homme, a manifestement inspiré le président de la République, qui s’exprimait à quelques mètres de là jeudi 13 septembre. Celui qui fustigeait en juin le « pognon de dingue » englouti dans les minima sociaux s’est montré sous un visage plus humaniste en annonçant son « plan de prévention et de lutte contre la pauvreté ». Les responsables associatifs, guère bienveillants jusqu’alors envers le gouvernement, ont salué les propos du président, dont ils auraient pu cosigner quelques envolées : « La pauvreté ne doit plus se transmettre en héritage », « Quand on est pauvre, c’est qu’on n’a pas choisi », ou encore « Je ne veux pas qu’on fasse un plan pour que les gens pauvres vivent mieux pauvres. Je veux qu’on leur donne le choix et la possibilité, parce qu’ils le veulent, de ne plus l’être. »
« Je suis très agréablement surpris, reconnaît Daniel Lenoir, ancien directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf ), pourtant très pessimiste après les rapports préparatoires. Grâce à la création du revenu universel d’activité, on va pouvoir sortir du maquis des prestations particulières et améliorer le taux de recours aux prestations. » Les bénéficiaires seront accompagnés par un service public de l’insertion, « [à] bâtir collectivement » a précisé le président, évoquant les collectivités locales et les associations. Si la prise en charge doit rester départementale, l’État, « responsable » du dispositif selon Emmanuel Macron, sera plus présent pour encourager financièrement (ou sanctionner) les collectivités selon leur engagement dans les politiques d’insertion. « L’État va insuffler une politique nationale, sans pour autant uniformiser les pratiques », note avec satisfaction l’ancien dirigeant de la Cnaf.
L’essentiel de l’effort annoncé, chiffré à 8 milliards d’euros, est concentré sur les jeunes et l’insertion par l’emploi. « J’apprécie la dimension d’investissement social du projet », note Daniel Lenoir, qui souligne l’ambition « sur l’apprentissage du langage » (développement des crèches pour les enfants de foyers très modestes) et l’attention aux jeunes « qui ont raté le premier train » (une solution pour tous les moins de 18 ans : emploi, scolarisation ou formation). Concernant l’accès au travail pour les plus précaires, Emmanuel Macron reprend et généralise de bonnes expériences qui fonctionnent, comme les « territoires zéro chômeur » initiés par ATD Quart Monde.
Les associations engagées après des plus pauvres saluent l’effort, tout en demeurant attentives. ATD Quart Monde s’interroge sur les moyens humains et financiers alloués, avançant « qu’une part significative des 8 milliards annoncés correspondent à un simple redéploiement de budget ». Pour le collectif Alerte*, « les mesures annoncées demeurent insuffisantes pour corriger les effets néfastes des choix politiques antérieurs, sur lesquels la stratégie pauvreté ne revient pas : baisse drastique des contrats aidés, diminution des APL, fragilisation des bailleurs sociaux, augmentation de la CSG… » Et le Secours catholique de déplorer, « l’impasse sur certains sujets : le niveau du RSA, qui ne permet que de survivre, l’accès au logement et la précarité des étrangers ». Jean-François Maruszyczak, d’Emmaüs France, ajoute à cette liste d’oubliés du discours présidentiel les migrants, les personnes âgées et les sortants de prison.
Réagissant à la proposition de fournir des petits déjeuners aux écoliers qui entrent en classe le ventre creux, Laurent Seux, du Secours catholique, préfèrerait « que les familles en difficulté puissent avoir des revenus suffisants pour le fournir elles-mêmes. Que ce soit l’État qui s’en occupe, c’est un pis-aller. Mais c’est mieux que rien** ».
Après le raté du plan Borloo sur les banlieues et le report en juillet du plan pauvreté pour cause d’urgence footballistique, beaucoup redoutaient une ambition présidentielle a minima. On peut maintenant regretter le caractère tardif de la conversion du « président des riches » envers la France d’en bas. Car il faudra patienter avant que les dispositifs soient mis en place et que leurs effets vertueux adviennent. Et certains n’en peuvent plus d’attendre.
Philippe CLANCHÉ
* Collectif qui regroupe 37 fédérations ou associations de lutte contre la pauvreté et l’exclusion.
** Europe1.fr, le 13 septembre.
Photo : Presidencia de la República Mexicana (CC BY 2.0)