Il paraît que le diable se cache dans les détails. La nouvelle traduction liturgique du Missel romain pourrait bien en être l’illustration. En chantier depuis vingt ans, cette version s’impose aujourd’hui à toutes les paroisses francophones. Les changements semblent minimes, mais ils en disent long sur la volonté des milieux traditionalistes d’imposer leur lecture passéiste de la liturgie. Plus grave, certaines de ces modifications reflètent une théologie que l’on croyait définitivement dépassée.
Après Vatican II, le Missel romain rédigé en latin a été traduit dans les différentes langues vernaculaires. Ce missel, qui succédait à celui du concile de Trente de 1570, a connu une seconde édition « typique » en 1975, puis une troisième en 2002. C’est cette dernière édition latine qui vient de faire l’objet d’une nouvelle version francophone. Les premiers traducteurs du Missel romain de Vatican II – publié en 1969 – avaient notamment fait appel à des poètes tels que Didier Rimaud et Patrice de La Tour du Pin. Pour les gardiens du dogme, ces traducteurs avaient pris trop de liberté avec le texte latin original. En témoigne, au début de la prière eucharistique, la phrase « Pour la gloire de Dieu et le salut du monde » prononcée par l’assemblée en réponse à « Prions ensemble au moment d’offrir le sacrifice de toute l’Église ». Cette phrase n’existait pas dans le texte latin. Ce que n’a pas manqué de relever la très sourcilleuse Congrégation pour le culte divin, qui, dans un document publié en 2001 sous la direction du cardinal Sarah, déclarait : « La traduction des textes de la liturgie romaine n’est pas une œuvre de créativité. […] Il s’agit plutôt de rendre de façon fidèle et exacte le texte original dans une langue vernaculaire. »
Tel fut donc le cahier des charges de la nouvelle équipe de traducteurs : être le plus près possible du texte latin. Ce qui donne « Priez, frères et sœurs : que mon sacrifice, qui est aussi le vôtre, soit agréable à Dieu le Père tout-puissant. » Avec l’assemblée qui répond : « Que le Seigneur reçoive de vos mains ce sacrifice à la louange et à la gloire de son nom, pour notre bien et celui de toute l’Église. » Une formule qui ne parle plus du « monde » et qui, surtout, met l’accent sur la dimension sacrificielle, chère aux tenants de l’ancienne liturgie. Que dire aussi de la prière pénitentielle ou du chant accompagnant la fraction du pain ? Il n’y est plus question du « péché » du monde, au singulier, mais des « péchés », passant ainsi d’une vision ontologique – le péché du monde désignant les limites et les pauvretés de notre condition humaine – à une vision comptable et moralisante – « Combien de fois mon enfant ? » – s’inscrivant dans une culture de la culpabilité.
Cette obsession du retour au latin a aussi conduit les traducteurs à remplacer dans le Credo la phrase « de même nature que le Père » par l’expression « consubstantiel au Père ». À l’heure où des voix se font entendre pour travailler sur des versions du Credo plus accessibles au commun des croyants, cette modification ne risque pas d’éclairer les fidèles. Dans son discours inaugural du Congrès international des traducteurs liturgiques, tenu à Rome en 1965, le pape Paul VI souhaitait que le texte liturgique soit « adapté à l’intelligence de tous, même des tout-petits et des gens incultes ». Il n’est pas certain que ces nouvelles formules répondent à ses vœux.
On retiendra tout de même l’introduction, dans les adresses à l’assemblée, du terme « frères et sœurs », au lieu de « frères ». Une expression inclusive chère aux Églises suisse et canadienne. Les traducteurs auraient-ils été touchés par la grâce ? Sans doute pas. Il paraît que cette traduction correspond au texte latin. Comme quoi, tout n’est pas perdu.
Laurent Grzybowski
Photo : The original uploader was Lima at French Wikipedia., CC BY-SA 2.5, via Wikimedia Commons