Une énergie qui décoiffe, des costumes mêlant les codes hip-hop et folkloriques, Kalush Orchestra a mis le feu à Turin. Samedi dernier, les Ukrainiens ont remporté l’édition 2022 de l’Eurovision avec un morceau alternant rap et sonorités folkloriques jouées sur des instruments traditionnels. La chanson Stefania, bourrée d’énergie, entraînante et touchante, a apporté aux Ukrainiens une victoire largement méritée, même si personne n’ignore le biais positif du jury et du public cette année.
L’Eurovision est peut-être ce que devrait être l’Europe aujourd’hui : de l’énergie à revendre pour un hip-hop électro mâtiné de musique folklorique qui fait se lever les foules. En tout état de cause, la compétition est déjà la fête de l’Europe dans ce qu’elle a de plus ouvert et de plus tolérant. L’esprit du Conseil de l’Europe plus que celui, plus bureaucratique, de Bruxelles. Cette compétition, dont la diffusion va bien au-delà des frontières européennes, est un espace de liberté, de désinvolture et d’exubérance à la limite du kitsch qui fait tomber certaines barrières.
Pour une de mes amies, la très britannique Sameera, l’Eurovision est un moment où tou·te·s peuvent concourir : des très sexy laitières polonaises (2014) au groupe finlandais de heavy metal Lordi (2006), en passant par les frères Herreys (1984), suédois et mormons à chaussures dorées… La scène de l’Eurovision est le lieu où l’on peut expérimenter, faire découvrir non seulement de la musique mais aussi des attitudes, des codes différents, voire transgressifs. Et si certains pays prennent peut-être la compétition de manière trop sérieuse, il semblerait que les favoris soient ceux qui entrent dans ce jeu de la démesure, des paillettes, du mélange improbable entre folk, hard rock et pop. Certains puristes, comme une autre amie, la Finlandaise Leena, regrettent le temps des orchestres symphoniques et des robes de soirées. Mais, pire, pour elle, l’Eurovision a perdu de son âme quand les artistes non anglophones ont été autorisés à chanter en anglais et qu’ont été admises à participer des nations non européennes, comme l’Australie ou Israël.
Mais l’Eurovision reste sûrement l’un des espaces de liberté qui symbolise le mieux le territoire européen. La compétition se veut apolitique, intraitable avec les pays et les groupes dont les chansons font explicitement de la propagande. Pour autant, le message est éminemment politique : l’Europe est une zone de respect et de tolérance et cette diversité est protégée par des droits. À l’Eurovision, nous avons assisté en 2013 à un baiser lesbien, et c’est Conchita Wurst, drag-queen à barbe autrichienne, qui a gagné en 2014. Les paillettes des tenues, le show exacerbé de l’Eurovision sont aussi au service de valeurs fondamentales : les pays européens ne peuvent tolérer les discriminations, qu’elles soient racistes, sexistes, homophobes, transphobes ou envers un handicap.
Luna Vernassal
Photo : LTV Ziņu dienests, CC BY 3.0, via Wikimedia Commons