Quelques rectangles verts, jaunes ou bruns au milieu de tentacules grises. Voilà à quoi ressemblent vus du ciel le Triangle de Gonesse et le plateau de Saclay, en Île-de-France. Au sein d’une des régions d’Europe où la pression immobilière est la plus forte, à 20 kilomètres à vol d’oiseau de Paris, ces deux zones agricoles sont devenues des symboles menacés.
Les promoteurs louchaient sur ces terres depuis longtemps, l’État depuis peu : il en a besoin pour son « Grand Paris », un projet qui doit, entre autres objectifs, « construire une ville durable », pour reprendre les mots du ministère de la Cohésion des territoires. Un message inaudible pour ceux qui luttent pour préserver ces terres agricoles. Afin de protester contre le double langage du gouvernement, une « marche des terres » a convergé vers l’hôtel de ville de Paris les 9 et 10 octobre derniers et deux ZAD, pour « zone à défendre », ont été créées sur ces sites. Celle du Triangle de Gonesse n’a tenu que dix-sept jours, avant d’être évacuée sans heurts en février dernier.
Certes, l’Île-de-France n’est pas l’immense métropole de béton qu’on pourrait s’imaginer. À proximité de la capitale, il y a des bois, comme celui de Boulogne, et des forêts, telle celle de Meudon. Mais l’étalement urbain grignote et la région est de loin la plus artificialisée de France. 21 % du territoire y est occupé par des habitations, des parkings, des routes ou des voies de chemin de fer, loin devant la Bretagne (12,4 %) ou les Hauts-de-France (11,4 %), qui complètent le podium.
Le Triangle de Gonesse et le plateau de Saclay concentrent tous les problèmes d’aménagement de la métropole parisienne. Le plateau de Saclay, situé au sud de Paris, entre l’Essonne et les Yvelines, est un territoire à haut potentiel entouré de grandes écoles et d’une faculté prestigieuse ; le Triangle de Gonesse, au nord, est un territoire pauvre coincé entre les tarmacs des aéroports du Bourget et Charles-de-Gaulle. Dans le cadre du projet du Grand Paris, deux gares de métro doivent être construites à ces emplacements.
À Gonesse, tout a commencé par un gigantesque complexe de commerces et de divertissement qui devait voir le jour sous le nom d’« EuropaCity ». Le projet a été abandonné en 2019 mais pas la volonté d’urbaniser cette zone. Il y aura une gare de métro de la future ligne 17, qui devrait ouvrir en 2028. Sur les 750 hectares du Triangle, où sont cultivés du blé ou du colza, 400 hectares ont été « sanctuarisés » pour l’agriculture, assurent les pouvoirs publics. Le Premier ministre, Jean Castex, en visite en mai dernier, a assuré qu’une cité scolaire internationale, qui formera notamment aux métiers de l’alimentation et de l’agriculture bio, et une administration publique seront construites sur le reste des terres. « Le gouvernement s’entête, assène Bernard Loup, président du Collectif pour le Triangle de Gonesse. Aucun investisseur privé ne s’intéresse plus au Triangle, le gouvernement cherche donc à tout prix un projet public. »
Sur le plateau de Saclay aussi, c’est la ligne de métro qui cristallise les tensions. Certes, des terres agricoles (2 469 hectares) ont également été rendues « non urbanisables » après la création d’une « zone de protection naturelle, agricole et forestière ». Mais, selon le Collectif citoyen contre la ligne 18, la ligne de métro est le « cheval de Troie de l’urbanisation du plateau ». « La ligne de métro ne sera rentable que si davantage de terres sont urbanisées », assure Timothée Flutre, chercheur en génétique des plantes, qui travaille sur le plateau. Il a participé à la « marche des terres » début octobre. « Cette ligne est surdimensionnée. D’autant qu’on peut très bien venir par d’autres moyens : je prends le RER B et un bus, par exemple. » La ligne de métro devrait en plus faire une grande saignée en diagonale au milieu des terres, ce qui compliquera le travail des agriculteurs et la circulation des animaux sauvages.
Des terres seront donc bel et bien artificialisées, alors qu’elles sont limoneuses, d’une rare fertilité même. « Des terres de cette qualité, il ne faut pas les détruire, insiste Timothée Flutre. De plus, pour les urbains, il est important d’aller voir des fermes, de se rendre compte d’où vient leur alimentation, pour ne pas se couper du vivant. » Chose plus aisée à faire quand les terres sont proches. Des terres grignotées depuis les années 1970 : plus de mille hectares ont déjà été bâtis sur le plateau de Saclay en cinquante ans…
Martin Delacoux
Photo : VVVCFFrance, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons