« Si le virus entre dans la prison, c’est comme jeter une allumette dans une botte de foin, il se diffusera à toute vitesse. » Vanessa* s’inquiète pour la santé de son compagnon, en détention dans la région de Toulouse. « Aucune mesure n’a été prise dans la prison, il n’y a pas de masques, pas de gants, pas de gel hydroalcoolique, que ce soit pour les détenus ou pour les surveillants », explique-t-elle. « Les portes des cellules sont ouvertes, ils se voient entre détenus, sans aucune mesure d’hygiène. Il y a trois douches par semaine et, dans la prison de mon compagnon, elles sont collectives ! Et puis, on connaît l’état des soins en prison, rien de tout cela n’est rassurant. Ce n’est pas parce que ce sont des détenus qu’ils méritent de mourir comme des chiens à cause du virus. » Une dizaine de détenus ont déjà été testés positivement au coronavirus, mais, en l’absence de tests systématiques, difficile de connaître l’ampleur de la contamination.
Pour lutter contre la propagation, les parloirs ont été supprimés dès le début du confinement. Mais, à deux ou trois dans une cellule de 9 mètres carrés, le respect des gestes barrières et la distanciation sociale sont impossibles. Tout l’enjeu est d’éviter une crise sanitaire et des mouvements de détenus. En Italie, l’annonce de la suppression des parloirs avait déclenché des mutineries et la mort de plusieurs prisonniers. « Des mesures ont été prises la semaine dernière par l’administration pénitentiaire, comme du crédit téléphonique pour compenser les parloirs, la gratuité de la télévision ou l’accès à un répondeur pour que les familles puissent passer des messages », détaille Charline Becker, coordinatrice pour le Sud-Est à l’Observatoire international des prisons (OIP). « Mais la communication reste difficile, seuls les détenus peuvent appeler – le répondeur ne fonctionne pas – et le crédit de communication sera vite épuisé. De plus, il n’y a plus aucune activité, les associations ne viennent plus, les aumôniers de prison non plus, même les avocats ne prennent pas le risque de contaminer leurs clients. » Les détenus et leur famille ont ainsi du mal à avoir des nouvelles et des informations viables, ce qui accroît les tensions. « L’angoisse est générale dans toutes les prisons », confie Me Benoit David, avocat et administrateur de l’association Avocats pour la défense des droits des détenus (A3D). « Il y a aussi beaucoup de fantasmes et de rumeurs. Chaque détenu a peur d’être confiné avec quelqu’un de malade, surtout dans les maisons d’arrêt surpeuplées. Et puis, le gouvernement n’aide pas : il ne cesse de répéter qu’il faut rester chez soi, seul, pour éviter les contaminations, alors qu’en prison beaucoup de monde circule, codétenus comme surveillants. » Désormais, les seules entrées extérieures dans les prisons sont celles des surveillants. « Les détenus ont peur qu’ils fassent entrer le virus, ce qui accroît les tensions », précise Charline Becker. « Des masques et des gants sont censés être livrés pour équiper les surveillants lors des palpations, mais on ne sait pas quand. »
Pour désengorger les prisons, un dispositif de libération anticipée d’environ 5 000 détenus a été annoncé par la Chancellerie. La mesure a provoqué l’indignation des syndicats du personnel pénitentiaire, mais reste insuffisante pour les associations. « Ces libérations concernent les détenus en fin de peine, mais rien n’est prévu pour la détention provisoire, qui concerne 20 % des personnes incarcérées », insiste la coordinatrice de l’OIP. « Il y a 15 000 détenus de trop, libérons-les, et assurons un encellulement individuel pour réduire la promiscuité et limiter la propagation du virus », renchérit Benoit David. « Nous appelons à une libération massive. Nous comprenons les impératifs de sécurité, mais, pour des personnes qui exécutent de petites peines, il n’y a pas de grands enjeux. Le gouvernement ne peut pas dire qu’il faut se confiner et laisser une telle surpopulation carcérale. De nombreux mécanismes existent dans le droit français pour aménager les peines, utilisons-les. Nous ne pouvons avoir une politique de sécurité judiciaire qui contrevienne à une politique de santé publique. » Depuis ces annonces, les demandes de libération se multiplient, mais n’apaisent pas les tensions. « Mon compagnon arrive à m’appeler deux fois par jour pour prendre des nouvelles », témoigne Vanessa. « Le dernier parloir était juste avant le confinement et, dans sa prison, il n’y en avait qu’un par semaine. Mais, si le confinement se poursuit, sans les parloirs et les familles qui fournissent de l’aide, ça va commencer à chauffer. Et c’est dangereux pour les détenus et les surveillants. »
Juliette Loiseau
* Le prénom a été changé.
Photo : © Burger-Phanie-Phanie via AFP
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