Le monde a découvert les crimes de guerre russes en Ukraine début avril, lorsque l’armée de Vladimir Poutine s’est retirée des environs de Kiev après avoir échoué à conquérir la capitale. Rien que dans la commune de Boutcha, les autorités déplorent plus de 450 morts. Dans l’ensemble de la région de Kiev, dont la ville d’Irpin, le total est supérieur à 1 300 victimes – des civils exécutés. Le retentissement mondial des crimes commis a été significatif, mais leur importance n’a rien de surprenante quand on connaît le comportement de l’armée russe en Syrie ou en Tchétchénie.
Les autorités ukrainiennes estiment qu’à Marioupol près d’un habitant sur quatre a été tué. Un lecteur de TC s’étonnait d’un tel chiffre et s’interrogeait sur sa fiabilité. Évidemment, en temps de guerre, les chiffres peuvent relever de la propagande. Ce qui est tout à fait certain et clairement documenté, c’est que les bombardements indiscriminés sur les civils sont quotidiens : comme en Tchétchénie, où on estime aujourd’hui le nombre de morts à 300 000, l’armée russe pilonne massivement pour conquérir des villes, sans tenir compte de la présence de civils.
Mais il y a aussi chaque jour les frappes aveugles, dont l’objectif est de terroriser les civils loin des lignes de front. Les statistiques concernant les cibles des missiles russes montrent qu’ils touchent davantage de zones civiles sans valeur militaire que d’infrastructures critiques ou de cibles militaires… L’objectif est là de punir l’Ukraine pour sa résistance. Ces bombardements ont augmenté, par exemple, après la libération de la région de Kharkiv. Cette violence gratuite est d’ailleurs l’un des signes de l’échec russe.
Qui dit zone libérée dit découverte de nouveaux crimes : Serhiy Panteleyev, le premier adjoint du département de police criminelle ukrainienne, a dévoilé que dix-huit lieux de torture avaient été découverts dans la région de Kharkiv et que plus de mille soldats russes étaient impliqués dans des crimes de guerre. De nombreux témoignages de torture émergent dans les zones récemment reconquises. Une commission d’enquête internationale a été mise en place sous l’égide des Nations unies. « Sur la base de ses enquêtes sur les événements survenus dans les régions de Kiev, Tchernihiv, Kharkiv et Soumy, la Commission internationale indépendante d’enquête sur l’Ukraine a conclu que des crimes de guerre ont été commis en Ukraine », a déclaré le 23 septembre son président, Erik Møse, au Conseil des droits de l’homme de l’Onu. La Commission mentionne aussi des violences sexuelles commises par des soldats russes sur des victimes âgées de 4 à 82 ans. Elle signale également deux cas de mauvais traitements de la part de soldats ukrainiens sur des soldats russes.
Dans les zones occupées, l’armée russe a mis en place des camps de filtrage pour tenter de briser la résistance dans les territoires occupés et a organisé la déportation d’enfants ukrainiens vers la Russie. Selon l’ONG Stand With Ukraine, plusieurs centaines de milliers de mineurs ukrainiens y seraient retenus actuellement sans contrôle extérieur. Certains de ces enfants sont déjà en cours de « rééducation » – c’est-à-dire de russification – dans des orphelinats, si l’on en croit la première chaîne de télévision russe qui s’en vante. D’autres auraient été adoptés par des familles russes.
Le traitement des prisonniers de guerre pose aussi question et pourrait constituer un crime de guerre. L’article 20 de la convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre (1949) stipule : « La puissance détentrice fournira aux prisonniers de guerre évacués de l’eau potable et de la nourriture en suffisance ainsi que les vêtements et les soins médicaux nécessaires. » Un très récent échange de prisonniers incluant des défenseurs de Marioupol montre des hommes squelettiques et rappelle ainsi la libération des camps nazis.
Devant l’Onu, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a exigé un « châtiment juste » contre la Russie et a appelé à la création d’un tribunal spécial pour juger la Russie « pour son crime d’agression contre [l’Ukraine] ».
Jacques Duplessy
Photo : Dsns.gov.ua, CC BY 4.0, via Wikimedia Commons