Les Atrides de la Vologne

Plus de trente ans après, la mort du « petit Grégory », comme tout le monde l’appelle, continue à passionner les Français. La relance de l’enquête fait renaître les querelles oubliées et, si le dénouement peut sembler proche, la quête éperdue de la vérité n’est pas sans poser question. 

Les faits divers ont toujours existé. Et parmi ceux-ci, les meurtres (homicides volontaires non prémédités) et les assassinats (homicides volontaires avec intention de tuer antérieure) fascinent. Dès le quatrième chapitre de la Genèse, Caïn devient meurtrier de son frère.

En France, on commet environ sept cents homicides par an. Seule une minorité relèvent de l’intention mûrement réfléchie de tuer. 10 % des victimes sont mineures et il n’y a pratiquement aucun enfant de moins de cinq ans. Et encore s’agit-il dans ce cas la plupart du temps d’un drame familial (assassinat de son conjoint et de ses enfants suivi d’un suicide), ou d’un infanticide (bébé secoué, déni de grossesse…). 90 % des affaires sont élucidées plus ou moins rapidement. C’est dire si l’assassinat de Grégory Villemin, le 16 octobre 1984, alors qu’il venait d’avoir  quatre ans, présente une situation inimaginable, unique et sans équivalent dans les annales judiciaires. Pour trouver un exemple semblable de cruauté et de haine, il faut remonter à la mythologie. Thyeste et Atrée se haïssaient tellement que le second tua les enfants du premier et les lui fit manger. Mais les Atrides n’existent pas en vrai. Grégory, si.

On comprend mieux que tout juge cherche à lire l’immense dossier de cette affaire pour l’heure toujours pas résolue. Aussi, au gré des nominations dans la juridiction de Nancy, où se trouve la vallée de la Vologne, lieu de ce crime épouvantable, puis de Dijon, où le dossier a été dépaysé, les juges ont lu et relu les innombrables pièces du dossier : une histoire qui n’a encore jamais existé sous cette forme doit être résolue, il y va de la crédibilité de l’institution. Et ce d’autant plus que les débuts de l’enquête, il y a plus de trente-deux ans, ont été catastrophiques.

Or, la justice française est inquisitoire (contrairement aux justices anglaise ou américaine, qui sont accusatoires). Cela signifie que ce ne sont pas les parties en présence qui cherchent à démontrer la vérité, mais un juge qui s’attache à l’établir. Inquisitoire ne devrait pas être synonyme d’inquisitorial, mais dans les faits la culture de l’aveu reste tenace. De toute façon, après trois décennies, les preuves matérielles sont ténues. Pourtant, l’aveu ne signifie pas forcément la vérité ; les exemples d’erreurs judiciaires basées sur des aveux erronés pullulent. Manifestement, en recourant à l’incarcération de suspects, le juge veut faire pression pour arriver à des aveux. Est-il licite de mettre en prison pour obtenir des renseignements ? Malgré l’horreur du drame, on ne doit pas employer n’importe quel moyen à cette fin. La nécessité de soulager sa conscience conduira-t-elle un des complices à se décharger d’un fardeau trop lourd ? On peut en douter. Rester muet durant si longtemps, alors que plusieurs personnes sont impliquées, cela relève de l’inimaginable, à la hauteur du crime commis.

Peut-être doit-on renoncer à une justice toute-puissante, capable de résoudre toutes les énigmes. Les lointains descendants des Atrides échapperont-ils à la malédiction de la Vologne ? On ne peut que souhaiter la vérité, mais pas à n’importe quel prix.

Dans la mythologie, le grand-père de Thyeste et Atrée – Tantale – avait fait manger aux dieux son propre fils et, pour cela, il fut mis au supplice éponyme consistant à lui apporter des fruits qu’il ne pouvait manger, à le mettre dans une eau qu’il ne pouvait boire, bref à le condamner à la faim et la soif éternelles, sans doute comme nous dans la recherche de la vérité sur l’affaire du petit Grégory.

BERTRAND RIVIÈRE

Photo : Paille (CC BY-SA 2.0)

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