Avec son empoisonnement, Navalny est-il devenu une figure crédible de l’opposition à Poutine ?
Pour Navalny, il y a clairement un avant et un après son empoisonnement. Avant, sa notoriété positive était de l’ordre de 5 %, après, elle est montée jusqu’à 20 %. Il était ignoré, son nom n’était pas prononcé. Son empoisonnement a déclenché un débat jusqu’au Parlement à la Douma, sorte d’hommage indirect et involontaire à ce qu’il est devenu : une personnalité politique qui compte.
Où se situe-t-il sur l’échiquier politique ?
Navalny est porté par sa lutte contre la corruption, c’est ça qui l’a fait connaître. Politiquement, il se situe à droite de l’opposition libérale, portée par les deux partis Labloko et Parnas. Il y a toujours été considéré comme très différent et peu accepté. Un temps membre de Labloko, il en a été exclu pour ses positions jugées trop à droite. Il ne peut pas fédérer non plus la gauche libérale. Il y a eu des tentatives, il n’a jamais réussi. L’homme est plutôt nationaliste dans son inspiration : il a approuvé l’annexion de la Crimée – comme, d’ailleurs, 80 % des Russes. Navalny se situe dans le courant principal de la sensibilité russe, qui est dans l’ensemble plutôt conservatrice et plutôt à droite, ce qui le rend menaçant pour le pouvoir.
Quel est son poids électoral ?
Difficile à dire car c’est un homme politique sans programme. Il y a eu tellement d’obstacles sur son chemin, ses emprisonnements successifs, ses procès, ses peines avec sursis, qu’il a rarement pu présenter des candidats. La mobilisation de l’appareil administratif et d’État en faveur du parti dominant empêche tout départage. Tout cela fait qu’on ne connaît pas vraiment son poids dans les urnes.
Comment parvient-il à fédérer les oppositions à Poutine ?
Depuis son empoisonnement, il incarne par la force des choses l’opposition à Poutine, même au-delà de l’opposition libérale. Figure de la lutte anticorruption et critique du pouvoir, il dispose d’un autre élément fédérateur, le « vote intelligent ». Aux récentes élections, sa consigne de vote était « tout sauf le parti unique de Poutine ». Cela a été efficace dans les quelques endroits où il a été autorisé à proposer une liste, notamment à Novossibirsk et à Omsk, où son parti a remporté des sièges. Mais, pour pouvoir vraiment rassembler, il lui faudrait un minimum de programme. La lutte contre la corruption, ce n’est pas un thème suffisant pour fédérer politiquement.
Quelles sont les menaces qui pèsent sur lui à présent ? Est-ce qu’on peut être un opposant en Russie quand on est en prison ?
C’est très difficile à dire, parce que le gouvernement russe est dans une position perdant-perdant. Soit il fait de Navalny un martyr en l’emprisonnant, voire en le laissant assassiner. Soit il le laisse sortir. Mais l’homme est un communicant absolument exceptionnel. Il a fait ses classes aux États-Unis dans une université américaine. C’est lui qui a fait ces films d’abord sur le château de Medvedev et maintenant sur celui de Poutine. S’il sort, il pourra exercer ses talents à plein, alors que les élections sont en septembre 2025. Pour le pouvoir en place, ces deux options sont dévastatrices.
Est-ce qu’on peut s’attendre à une révolution orange en Russie ?
Non, les « occidentalistes » en Russie sont une très petite minorité. Et tous les sondages donnent à Poutine 60 % de popularité. En septembre, aux élections législatives, son parti, Russie unie, fera selon les politologues de 40 à 45 % des votes. Donc, la révolution orange est plutôt une menace agitée par le pouvoir, menace d’instabilité, de troubles et de décroissance. Ce sentiment obsidional est cultivé par les autorités.
Navalny et Poutine se connaissent-ils, se sont-ils déjà rencontrés ?
Ils ne se connaissent absolument pas. Poutine doit très probablement considérer Navalny comme un empêcheur de tourner en rond. Ce n’est pas la même génération, pas la même sensibilité, ni la même approche, même s’ils sont probablement assez proches sur le plan des idées, avec un patriotisme relativement exigeant. Mais Navalny a peut-être évolué, on ne sait pas vraiment ce qu’il pense quand on n’est pas dans son cercle le plus restreint.
Propos recueillis par Guillaume de Morant.
Photo : MItya Aleshkovskiy, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons