Évangile de Matthieu 28, 16-20
En ce temps-là, les onze disciples s’en allèrent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre. Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes. Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »
Douter, est-ce un péché ?
Quelle audace ! Et quel coup de dés ! Il fallait vraiment oser : donner à Jésus, un obscur condamné à mort au nom de l’empereur romain, le statut d’un Dieu souverain de l’univers. Alors qu’il avait été exécuté hors des murs de la ville sainte, le replacer au centre du jeu des nations et en faire l’aimant – au sens de celui qui attire – universel. Le sortir du silence de la mort pour lui redonner la parole qui crée une nouvelle socialité. Tout dans cette histoire semble côtoyer la folie et déborder la raison. Saint Paul en conviendra lui-même : « Nous sommes fous à cause du Christ. » (1 Co 4, 10.)
Dès lors, qui, même dans un geste de reconnaissance révérente de Jésus, ne rencontre pas l’interrogation et le doute ? L’acte de foi de tout disciple reste souvent partagé entre l’acquiescement généreux aux paroles heureuses du Seigneur et l’interrogation qui aiguise l’intelligence. Comme s’il fallait se garder de deux dérives : l’exaltation aveugle, trop affective ou naïve, et l’hésitation à se laisser interpeller par d’autres paysages, par d’autres possibilités humaines. Jésus est peut-être cette voix, parfois intérieure, parfois venue des autres, qui nous lance un « allez, va » ou un « passe ailleurs » ! L’impératif est le mode de l’action. L’incomparable passant de Galilée que fut Jésus incite encore à prendre la route de manière osée, aventureuse. Quel est le bagage du disciple voyageur ? Juste des paroles heureuses qui donnent de la force en donnant de la confiance. Juste aussi quelques gestes qui esquissent un style de vie capable de résister aux morsures du mal et de la mort.
Quant au trait d’union entre les disciples, il n’y a que l’écoulement d’une eau pure sur le corps, comme la marque du passage à une autre vie. Le Christ ouvre une route qui nous change : ne continuerait-il pas à ressusciter dans les résurrections de ceux et celles qui le suivent ? J’entends ainsi sa promesse d’intime présence : « Je suis avec vous jusqu’à la fin des temps » ! Cet « avec vous » se construit dans le corps social que recréent ses disciples : hommes et femmes de tous âges et toutes conditions, issus de tous pays, parlant des langues différentes, se réunissant pour porter le souvenir de celui qui réanime leurs espoirs. Ce corps social reste ouvert à qui veut le rejoindre, même de façon éphémère. Au fond, l’appel à faire des disciples du Christ ne consiste pas à créer un rassemblement humain distinct des autres, mais à tenter d’esquisser la communauté mondiale que tant de peuples espèrent, celle où nous parviendrons à converser les uns avec les autres dans une estime réciproque de nos nations. Folle utopie ou espérance raisonnable ?
Jean-Yves Baziou
Photo : Ryk Neethling (CC BY 2.0)