Évangile de Luc, 18, 1-8
Jésus leur disait cette parabole pour leur montrer qu’ils devaient toujours prier, sans jamais se décourager : « Il y avait dans une ville un juge qui ne se souciait pas de Dieu et n’avait d’égards pour personne. Il y avait aussi dans cette ville une veuve qui venait chaque fois lui dire : “Rends-moi justice contre mon adversaire !” Pendant longtemps, le juge refusa, puis il se dit : “Bien sûr, je ne me soucie pas de Dieu et je n’ai d’égards pour personne ; mais, comme cette veuve me fatigue, je vais faire reconnaître ses droits, pour qu’elle ne vienne plus sans cesse m’assommer.” » Puis le Seigneur ajouta : « Écoutez ce que dit ce juge indigne ! Et Dieu, lui, ne ferait-il pas justice à ceux qu’il a choisis quand ils crient à lui jour et nuit ? Tardera-t-il à les aider ? Je vous le déclare : il leur fera justice rapidement. Mais quand le Fils de l’homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »
Et si la prière relevait du défi ?
L’intention de la parabole est clairement posée : il faut prier sans se décourager. Dont acte ! Cependant, le questionnement de la fin vient brouiller cette apparente clarté. Faut-il poser un principe de vases communicants entre ténacité de la prière et fugacité de la foi ? De plus, à l’instar de la parabole du gérant habile (Lc 16, 1-8), celle du mauvais juge va à l’encontre d’une certaine moralité. Voilà qu’un juge « indigne » – à rapporter au gérant « trompeur, malhonnête » de Lc 16, 8 – doit nous faire réfléchir sur la justice divine !
Dans le livre du Siracide, Dieu est présenté sous les traits d’un législateur qui ne méprise pas les gens dépendants : « Le Seigneur est un juge qui n’est pas impressionné par le rang d’une personne. Il ne défavorise pas le pauvre mais il accueille la prière de l’opprimé. Il ne méprise pas l’orphelin qui supplie, ni la veuve qui expose sa plainte. Les larmes ne coulent-elles pas sur ses joues ? N’élève-t-elle pas des protestations contre celui qui la fait pleurer ? » (Si 35, 12-16.) C’est cette idée commune que Jésus met en avant aux versets 7 et 8. Pourtant, le juge de la parabole prend le contre-pied de ce lieu commun. Notre homme tarde à rendre justice et reste sourd à la prière de l’opprimée.
Si Dieu ne se laisse pas impressionner par le statut des gens, notre juge n’a aucun souci des autres, fussent-ils Dieu ! Pourtant, c’est la plus dépendante, la plus insignifiante de la société de l’époque – à savoir une veuve – qui va venir renverser la situation. Une histoire qui ressemble à celle de Chuck Wepner, ce boxeur de seconde zone qui avait affronté le triple champion du monde de la discipline, Mohamed Ali. Une histoire qui a inspiré la trame du film Rocky Balboa. Le triple champion n’avait d’égards pour personne, ayant vaincu Joe Frazier et George Foreman par KO. Face à Chuck, il se disait que l’affaire serait pliée en une manche. Pourtant l’outsider tient le deuxième round, puis revient au troisième, au quatrième… pour aller jusqu’au quinzième.
Étonnante histoire, comme celle de notre veuve qui refuse de jeter l’éponge, et qui ose affronter celui qui n’avait d’égards pour personne, pas même pour Dieu. Une chose va faire changer le regard du juge, il suffit d’écouter ce qu’il dit. S’il lui accorde son droit, c’est qu’il craint de prendre une droite. La pauvre veuve a tapé dans l’œil de celui qui ne voyait personne !
Jésus lance un défi à l’issue de cette histoire et il s’interroge. Dieu sera-t-il étonné par notre persévérance dans la prière malgré les circonstances qui auraient pu nous mettre KO ? L’idée n’est pas de harceler Dieu de revendications, mais de l’étonner en montrant qu’il y a encore aujourd’hui des gens qui y croient. Jacques Ellul écrivait : « Poser le problème de la prière, de la difficulté de prier, etc., c’est en réalité poser le problème de la foi dans le monde actuel. » La prière comme combat, à l’instar de celui de Jacob (Gn 32, 25-27), et à la plus grande surprise de Dieu. Sommes-nous OK ?
Philippe de Pol
Photo : Ryk Neethling (CC BY 2.0)