Le sud de Madagascar au bord de la famine

Madagascar, pays politiquement instable et à l’économie fragile, est aujourd’hui confrontée à un péril plus grave encore. C’est l’un des pays d’Afrique les plus durement touchés par le changement climatique, qui cause actuellement une situation de quasi-famine dans la région du Grand Sud. Shelley Thakral, porte-parole du Programme alimentaire mondial des Nations unies (PAM), qui vient d’y passer un mois, nous raconte l’urgence.

Quelle est la situation humanitaire dans le Grand Sud de Madagascar ?

Le Grand Sud compte environ 2,7 millions d’habitants. Actuellement, 1,14 million d’entre eux sont confrontés à des niveaux d’insécurité alimentaire aiguë. Un outil d’analyse mondial – le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire – nous permet de classer les situations d’insécurité alimentaire et de malnutrition selon leur gravité. Près de 14 000 personnes sont en situation de « catastrophe », qui est l’échelon 5 de ce cadre d’analyse, le plus élevé. Et ce chiffre pourrait doubler d’ici le mois d’octobre. Concrètement, il s’agit d’hommes, de femmes, d’adolescents et d’enfants sous-alimentés, émaciés, qui n’ont que la peau sur les os. Ils se nourrissent de ce qu’ils trouvent, notamment de fruits de cactus rouges crus, de plantes, de feuilles. Ils parcourent plusieurs kilomètres par jour sous la chaleur pour recueillir de l’eau, souvent trop salée. Beaucoup ont vendu leurs ustensiles de cuisine, et ne peuvent plus rien préparer. Nous avons rencontré une jeune fille de 16 ans qui en faisait 7 ou 8 à cause de la malnutrition. L’impact de cette crise sur les générations futures va être terrible.

Quelles sont les principales causes de cette situation ?

Le sud de Madagascar est confronté à la pire sécheresse que la région ait connue depuis quarante ans. Les dernières précipitations remontent au mois de mars. L’absence de pluie a anéanti les récoltes et entravé l’accès des populations à la nourriture. Selon les premières estimations, 60 % des récoltes auraient été perdues dans les zones les plus touchées. La partie sud de l’île est également sujette à de puissantes tempêtes de sable – aussi dues aux changements climatiques –, qui ensevelissent des terres arables, et à des cyclones. Ces modifications poussent des gens à l’exil. À cela s’ajoutent des facteurs socio-économiques, comme la pandémie de Covid-19, qui a mis à l’arrêt le tourisme, un secteur qui employait jusque-là de nombreuses personnes.

Quelle est la réponse humanitaire des organisations ?

Plusieurs ONG, parmi lesquelles le Programme alimentaire mondial, acheminent de la nourriture, mais les zones les plus touchées sont difficiles d’accès. Il s’agit de petites poches rurales, loin des côtes. L’état des routes est mauvais, le port ne fonctionne pas correctement à cause de la pandémie. Le rythme auquel arrivent les provisions est donc très lent. Cela peut prendre trois à quatre mois avant qu’une cargaison en provenance d’Afrique australe ne parvienne à destination. Pour continuer à fournir de la nourriture aux populations, et nous parlons là d’urgence vitale, le PAM a besoin de 78,6 millions de dollars. Certains États ont répondu à l’appel que nous lançons depuis un an maintenant. Avec 2,7 millions de dollars, la France est le quatrième donateur après la Banque mondiale, le Japon et l’Union européenne. Mais l’aide est insuffisante pour répondre à l’urgence.

Comment faire face plus durablement à cette crise ?

Nous sommes habitués aux situations d’insécurité alimentaire causées par des conflits, mais, ici, pour la première fois, la faim est principalement due aux changements climatiques. Depuis la fin de l’année dernière, nous travaillons donc avec le gouvernement malgache ainsi qu’avec d’autres ONG pour mettre en place des systèmes moins tributaires du climat, plus adaptés et plus résilients. Il s’agit par exemple de privilégier des cultures de céréales qui survivent à des conditions de sécheresse, comme le manioc ou le millet, d’augmenter la production d’aliments nutritifs, de développer les infrastructures de stockage, de lutter contre la déforestation et planter des arbres capables de freiner les tempêtes de sable, etc. Rappelons que ces communautés ne conduisent pas de voitures, ne brûlent pas de combustibles fossiles. Elles n’ont pas contribué au changement climatique, mais elles en sont les premières victimes.

Propos recueillis par Morgane Pellennec.

Photo : Aleix Cabarrocas Garcia (CC BY 2.0)