Le sentiment religieux est l’un des sentiments les plus forts qui soit dans la mesure où il touche au sacré, une sphère qui suscite à la fois du désir, du respect et de l’effroi. De surcroît, chez l’enfant le sentiment de croyance est absolu. Ainsi, le petit enfant croit sincèrement et magnifiquement au père Noël.
C’est en cela que le viol ou l’atteinte à la pudeur par un représentant de cette parole sacrée est un double crime : il attente évidemment au développement de la sexualité chez l’enfant – lequel ne pourra, le plus souvent, plus jamais vivre librement son désir –, mais il ôte également à l’enfant son nécessaire besoin de croire ; de croire en un au-delà de soi-même ; d’avoir foi en l’humanité, et donc de pouvoir développer la capacité d’une élaboration symbolique. La mutilation n’est pas seulement sexuelle, elle est aussi spirituelle.
La pédophilie dans l’Église a aussi une autre dimension. Elle attaque violemment l’interdit de l’inceste. La pédophilie exercée par un prêtre est beaucoup plus traumatisante que celle exercée par un instituteur. Le prêtre est celui qu’on appelle « mon père ». En brisant le tabou, le prêtre pédophile devient un père incestueux. En protégeant ce dernier, l’institution devient perverse en ce sens qu’elle anéantit l’idée même du tiers, c’est-à-dire de la loi. La sécurité intérieure de l’enfant est tout simplement pulvérisée : plus jamais il ne sera en confiance, la loi n’existe pas.
L’argument porté par l’institution catholique suivant lequel il faudrait élargir le champ de la commission au motif qu’il existe de la pédocriminalité dans d’autres institutions, même si l’observation est exacte, a pour objectif d’atténuer sa responsabilité au motif que « d’autres le font », voire que « tout le monde le fait ». C’est l’argument premier du père incestueux – « Je n’étais pas seul ! » –, qui a plusieurs niveaux de lecture : j’ai été provoqué, d’autres le font, bref, je suis pardonné.
Jean-François Rouzières