Les relations entre la junte malienne et la France sont très tendues. La France est-elle éjectée du Sahel ?
La France vit en Afrique un anachronisme historique. Les jeunes ressentent la présence de Barkhane comme si on était au temps de la guerre froide et de la Françafrique. À cette période, la France cooptait les présidents, détenait des marchés économiques, avait un accès privilégié à l’uranium et au pétrole. Les jeunes ont l’impression qu’on est toujours dans ce système intégré. Mais ce n’est plus vrai. La part des exportations françaises en Afrique a été divisée par deux en quinze ans, passant aujourd’hui à 5,5 %. Nous sommes même derrière l’Allemagne – et très loin derrière la Chine, qui a 11 % de parts de marché.
En 2013, l’armée française était acclamée lors de l’opération Serval, qui avait permis d’éviter que Bamako tombe aux mains des islamistes puis de reprendre le contrôle du nord du pays. Mais le fait que l’opération se soit prolongée avec Barkhane a isolé progressivement la France. Emmanuel Macron a échoué à légitimer cette présence militaire pour la lutte antiterroriste, et ce malgré la création du groupe de forces spéciales Takuba. Les jeunes ont l’impression qu’on est restés dans cette période franco-africaine d’un autre temps. Le franc CFA accentue cette illusion. Mais c’est aussi en partie la faute des politiques français.
Donc l’Afrique est redevenu un enjeu géostratégique, dont la France n’est que l’un des acteurs ?
Tout à fait. La Chine est arrivée en force sur le continent au début des années 2000 et a rendu de nouveau l’Afrique géostratégique. Elle s’est investie dans le contrôle de matières premières comme le coltan ou le cuivre, indispensables dans les technologies modernes et l’armement. Des puissances émergentes ou moyennes, comme la Turquie ou l’Allemagne, sont aussi de plus en plus présentes. Les alliés de la France grignotent même ses parts de marché. En résumé, la France fait la sécurité pendant que ses alliés font le business.
Et cette implication militaire visible lui attire beaucoup de critiques…
La France perd pied pour de multiples raisons : ses relations biaisées avec des autocrates souvent détestés, la baisse de son influence économique et son image interventionniste en raison des déploiements militaires. L’image de la Françafrique lui colle toujours à la peau. Les réseaux sociaux attaquent beaucoup la France. La diaspora africaine, dont font partie de très nombreux exilés politiques, reproche à Paris de soutenir des autocrates locaux. Macron déteste ces derniers, mais il a besoin d’eux. Par exemple, il a reçu en novembre Ali Bongo à l’Élysée, car le Gabon devenait un membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Cela illustre l’ambiguïté de la France en Afrique. Il ne faut pas sous-estimer le sentiment anti-français dans la population.
Pour en revenir au Mali, on a l’impression d’une humiliation de la France ?
Il est certain que la junte malienne a dégainé la première, en réduisant les survols des avions militaires, en exigeant de la centaine de soldats danois qu’ils plient bagage ou en demandant le départ de l’ambassadeur de France. Dans les faits, la France pensait déjà partir, mais ce repli se fait dans de très mauvaises conditions. Toute cette agitation donne l’impression que la France est chassée du Mali. Mais nous payons aussi l’attitude d’Emmanuel Macron. Le président français a eu une attitude d’infantilisation des chefs d’État africains lors des réunions du G5 Sahel. Il a montré de l’arrogance lors des obsèques du président tchadien Idriss Déby. Il était au premier rang, comme sur un trône, à côté du fils Déby, Mahamat Idriss, autopropulsé à la tête de l’État. On avait l’image du président français adoubant ce dernier.
Et il vient d’y avoir un coup d’État au Burkina Faso…
Cela ne changera sans doute pas grand-chose pour la France. Le gouvernement précédent avait refusé la présence de Barkhane tout en acceptant la présence de forces spéciales françaises. L’actuel fera sans doute de même. La ministre Florence Parly souhaiterait un redéploiement de Barkhane au Niger. Ma crainte est que cela fragilise le président Mohamed Bazoum. C’est le seul chef d’État civil de la région…
Propos recueillis par Jacques Duplessy.
Photo : TM1972, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons