Emmanuel Macron me fait penser à un psy qui recevrait un patient en souffrance et lui expliquerait au bout de quelques séances qu’il a tout pour être heureux. Il générerait aussitôt chez ce dernier un fort sentiment d’abandon, assorti d’une immense colère. Le président de la République est un pragmatique, le macronisme est d’ailleurs un hyperpragmatisme. C’est, du reste, cette qualité qui a séduit bon nombre d’électeurs. Emmanuel Macron travaille d’arrache-pied à ses dossiers, rares sont les domaines de la politique et de l’économie qui lui sont étrangers, et il donne l’impression de n’avoir intellectuellement aucune limite, sauf, peut-être, la nature humaine…
Sur ce terrain-là et depuis sa première élection, il démontre régulièrement son incapacité : il a l’art de provoquer la colère. Dans l’un de ses clips de campagne, Emmanuel Macron expliquait que politiquement les « Français sentent tout » ; était-ce l’argument d’un conseiller de com’ ou une impression lucide ? Notre Président ferait bien de prendre la chose au pied de la lettre car ce que les Français sentent, c’est que cet homme dont la destinée tout entière est l’expression la plus évidente d’un affranchissement de toutes les limites ne se prive pas d’en poser, inflexiblement et sans douter un seul instant. Ainsi sont pour lui non négociables le butoir des 64 ans et l’utilisation de l’alinéa 3 de l’article 49 de la Constitution, le fameux 49.3, qui donne pourtant à ses plus fervents soutiens le sentiment d’être des militants ou des parlementaires pour rien, leur position en tant que sujet étant sans cesse court-circuitée par la libre expression du pouvoir d’un seul homme et de la poignée de conseillers qui l’entourent.
Pour autant le Président est-il seul responsable de la colère qui grogne ? Ce serait aller un peu vite en besogne. La France insoumise, qui se fiche comme d’une guigne des équilibres financiers et économiques du pays, attise la colère avec le fol espoir du « grand soir », et fait allègrement fi de nos institutions démocratiques, qu’elle ne cesse de fragiliser en légitimant une violence qui n’est jamais acceptable. Quant au RN, il use et abuse avec cynisme de cette colère dans le but de s’emparer dès que possible du pouvoir, sachant très bien que si le citoyen perd la place d’où il peut dire non et être simplement entendu, il s’expose au vide et finit par épouser la fallacieuse croyance qu’une autorité fasciste le soulagera de son angoisse. C’est tristement classique, ça marche à tous les coups.
« Que faire ? » doit se demander le Président ? Jacques Lacan disait que « ce que l’on gagne d’un côté, on le perd de l’autre », mais beaucoup ont aujourd’hui l’impression que ce qu’ils perdent d’un côté, ils le perdent aussi de l’autre. Et il est vrai que l’on ne peut pas leur donner complètement tort. Emmanuel Macron pourrait donc méditer ce propos de la psychanalyste Anne Dufourmantelle : « On ne peut pas demander à un sujet de dépasser sa colère sans qu’il ait un espace de reconnaissance un peu sauvegardé d’où il pourra la transcender et tâcher de la comprendre plutôt que d’y céder. »
Jean-François Rouzières
Photo : Remi Jouan, CC BY 4.0, via Wikimedia Commons