Quelques discussions sont animées et un peu erratiques, c’est l’époque. Tout de même, risqué-je, cela fait chaud au cœur de voir des gens se réunir, parler, recréer un lien social perdu dans le mode de vie déprimant de zones périurbaines oubliées et sans âme, dans l’autisme des communications par les réseaux sociaux… Ah oui, tiens, parlons-en de ces réseaux sociaux qui véhiculent les pires ignominies… Et puis, foutre en l’air une partie de l’économie du pays pour se faire des copains et pécho des meufs, cela fait cher le petit câlin. Certes, mais il y eut dans l’histoire de tels mouvements, comme cette Guerre des pauvres que raconte magnifiquement Éric Vuillard dans son dernier livre*, l’histoire d’une insurrection populaire menée entre autres par Thomas Müntzer, une révolte déclenchée en 1525 par la levée d’impôts iniques, comme c’est le cas chez nous… Oui, mais, justement, il y avait un vrai leader, une tête pensante, une voix forte, c’était autre chose que des abrutis incultes comme Éric Drouet ou Maxime Nicolle, shootés aux théories complotistes et aux fake news… Oui, mais Jean-Luc Mélenchon a tenu des propos énamourés sur Éric Drouet, son nouveau héros… Oui, mais c’est Jean-Luc Mélenchon, esprit alerte mais quelque peu clivé et passablement caractériel, qui ne sait trop comment soutenir un mouvement suintant de beaufitude et de lepénisme à peine larvé, avec son lot de propos putrides – antisémitisme, homophobie, misogynie à l’égard des femmes du mouvement –, d’explosions de haine et de violence envers quiconque cherche à créer un peu de cohésion… Oui, mais les gilets jaunes refusent un leader, justement pour ne pas reproduire les mêmes schémas et voir leur mouvement récupéré… Certes, mais sans vrai discours pour théoriser et sortir des doxas simplistes, sans démarche politique pour le fédérer, le mouvement n’ira pas très loin, ou alors beaucoup trop loin et finira dans le sang… Oui, mais c’est justement la violence qui accouche de l’histoire, qui crée les vraies ruptures, qui force les dirigeants à réagir ; si vous leur demandez les choses gentiment et poliment, ils vous rient au nez, vous tapotent la joue et vous disent de ne pas vous mêler de choses auxquelles vous n’entendez rien. Certes, mais le gouvernement a bien senti le vent du boulet, ils ont même eu la grosse pétoche, du coup ils organisent un débat national… Un vrai foutage de gueule, oui, de la récup ! Ah ! on voit bien que tu n’aimes pas le peuple. Mais non, c’est comme les cahiers de doléances et les États généraux, afin de… Oui, mais si je me souviens bien, cela s’est poursuivi par des exécutions sommaires, des massacres de masse, suivis d’une dictature militaire, d’un régime impérial et d’une restauration. Certes, comparaison n’est pas raison, et l’histoire ne repasse pas les plats. Mais il lui arrive de bégayer.
Bernard Fauconnier
* La Guerre des pauvres, Éric Vuillard, Actes Sud.
Photo : Aurélien Adoue (CC BY 2.0)