Que pensez-vous du pontificat de François ?
Son nom – François – constitue son programme. Comme François d’Assise au XIIIe siècle, ce pape essaie de renouveler l’Église par la pauvreté, le renoncement à la violence, l’établissement d’une véritable fraternité sans frontières avec tous les êtres vivants. Dès son élection, en se rendant sur l’île de Lampedusa, il s’est engagé auprès des réfugiés en Méditerranée. Au Vatican, il s’est écarté des courtisans, a cherché à vivre plus simplement. Pour lui, posséder l’arme nucléaire est un péché mortel et le système capitaliste une entreprise de mort. Je n’ai jamais entendu de paroles aussi claires dans la bouche d’un pape. Son problème : les cloches des églises n’ont pas répandu son message ! Finalement, on ne prend pas ses paroles avec le sérieux qu’il faudrait.
Mais il aurait pu tenter aussi de réformer l’Église catholique ?
Comment le pourrait-il ? Venant d’Argentine, ce pape a apporté ce qu’il a pu. Quand François critique la curie romaine en disant qu’elle est corrompue, il utilise des mots que je n’ai pas moi-même osé prononcer. Je crois qu’il voudrait transformer l’Église catholique. Mais ceux qui détiennent le pouvoir n’ont pas encore compris la profondeur de la crise. La grande époque de la scolastique, qui structure la théologie catholique depuis le XIIe siècle touche, je pense, à sa fin.
Le pape François a refusé que l’ordination d’hommes mariés soit expérimentée en Amazonie. N’a-t-il pas fermé lui-même un chemin possible de réformes ?
Nous sommes face aux symptômes d’une maladie. Jean Paul II a verrouillé la théologie à l’ancienne. Et Benoît XVI a parachevé cette œuvre. Il n’y a plus, je le répète, de possibilité d’avancer dans le domaine de la théologie. En fait, cela provoquerait une grande crise psychologique si l’on acceptait ce genre d’expérimentation [Ndlr : l’ordination d’hommes mariés]. Parce que les clercs, les « fonctionnaires de Dieu » sont au centre de la structure. Ce qui serait nécessaire, ce serait de changer la manière de penser. Vatican II avait provoqué beaucoup d’espoir. Mais c’est devenu une sorte de fantôme.
Vous retrouvez-vous dans la critique du cléricalisme dont François a fait l’un des leitmotivs de son pontificat ?
Le pape cherche à remotiver le clergé comme il a déjà essayé de le faire, dans le passé, en Argentine. Ce n’est pas une transformation politique de l’Église catholique qu’entreprend François. Sa volonté n’est pas d’édicter les règles d’une nouvelle Église. Ce qu’il souhaite, c’est que chacun se renouvelle de l’intérieur. Le pape propose une cure des âmes. De mon point de vue, un renouveau spirituel serait tout aussi nécessaire. Mais c’est trop demander à ce pape. Dans les années 1980, François a entrepris une thèse de théologie. Sa pensée théologique s’est arrêtée à Romano Guardini. Ce n’est pas une pensée critique mais une pensée méditative. En fait, le problème central de ce pape, c’est de savoir qui le soutient. Où sont les jésuites ? Où sont les évêques ? François propose de bonnes choses mais n’a pas de soutien.
Attendez-vous quelque chose du chemin synodal allemand, qui suscite beaucoup d’appréhensions à la curie romaine et même chez le pape ?
C’est très bien qu’il ait lieu, que ces débats se tiennent. Mais il y a des risques car ce n’est pas vraiment un renouveau spirituel. Je crains qu’il n’y ait des bagarres pour le pouvoir, que les femmes, les personnes homosexuelles, les divorcés remariés revendiquent surtout des droits pour eux-mêmes. Le risque réside dans ces querelles internes. Les luttes de pouvoir ne devraient pas avoir lieu dans l’Église. Il serait préférable de faire de la place à la méditation, à la réflexion, aux sentiments, à l’humanité…
Propos recueillis par Bernadette Sauvaget.
Vient de paraître en français : Eugen Drewermann, Le Secret de Jésus expliqué aux jeunes, Karthala, 212 p., 19 €