Voici une institution qui fleure bon la chrétienté de jadis : « Les Pieux Établissements de France à Rome et à Lorette datent de l’époque lointaine où les pèlerins venus de toute l’Europe, regroupés en confréries ou en communautés diverses, ont commencé à s’organiser à Rome sous la tutelle lointaine de leurs nations respectives, écrit le journaliste Bernard Lecomte*. Des pèlerins qui n’étaient pas encore sujets du roi de France ont construit Saint-Yves-des-Bretons, Saint-Nicolas-des-Lorrains et Saint-Claude-des-Francs-Comtois-de-Bourgogne. » Avec les églises de Saint-Louis-des-Français et de La Trinité-des-Monts, elles forment un ensemble dirigé par… l’ambassade de France près le Saint-Siège, qui nomme et contrôle son administrateur.
Juridiquement, les « Pieux » sont un objet hybride, dépendants des droits français, italien et du Saint-Siège, exempté de tout impôt. Autant dire inattaquable juridiquement, comme le constate à ses dépens une salariée, responsable de l’aumônerie du lycée français de la capitale italienne. Découvrant en 2018 que toutes ses cotisations sociales n’avaient pas été réglées, elle vient réclamer leur régularisation. Après avoir refusé un chèque des arriérés et un nouveau contrat – de droit italien et avec un salaire diminué –, elle s’est vue signifier la fin de son contrat. Le tribunal français des prud’hommes l’a déboutée en première instance. On attend pour juin une décision en appel, en souhaitant bien du courage aux juges. Par deux fois, en 1990 et en 2007, les limiers de la Cour des comptes s’étaient cassé les dents face aux « Pieux », incontrôlables, au sens propre.
Hors Covid, le business des « Pieux » tourne plutôt bien. Avec 5 millions d’euros qui tombent chaque année dans leur tirelire par la grâce des loyers de 141 appartements, 27 bureaux et 12 commerces dans la Ville éternelle, ils peuvent remplir leurs missions : accueillir les pèlerins, faire rayonner la France à travers des programmes culturels, entretenir les églises et gérer quelques œuvres de bienfaisance. Question gestion salariale, c’est moins glorieux. Jusqu’à peu, les salaires étaient versés en enveloppes de billets, de la main à la main…
« La gouvernance date du milieu du siècle dernier. On n’a pas d’instance de contrôle extérieur, pas de véritable contre-pouvoir à l’intérieur de la Congrégation générale », dénonce Olivier Lebel**, ancien responsable des finances à la Conférence des évêques de France, qui fut membre de ce conseil d’administration avant de claquer la porte. Arrivé à la direction en 2019, le père Michel Kubler, ancien rédacteur en chef religieux de La Croix, reconnaît du « bricolage » dans la structure et « une culture ecclésiastique [qu’il] espère révolue » (La Croix, 25 avril 2021). Il promet du changement, à commencer par la validation des comptes par un cabinet d’audit à Rome. À l’époque de la transparence exigée par le pape François, il serait temps.
Philippe Clanché
* Dictionnaire amoureux des papes, Plon, 2016.
** France Inter, 20 avril 2021.
Photo : Andrea Ferrante (CC BY 2.0)