Discrètement, à l’abri des regards, le président Emmanuel Macron s’est assis dans sa stalle, celle de chanoine honoraire de la basilique de Latran. Entorse à la république laïque ? Lors de la visite présidentielle du 26 juin à Rome, la crainte de susciter la polémique – comme cela s’était produit lors du déplacement de Nicolas Sarkozy en 2007 – était très perceptible. Au-delà des grands sujets internationaux (l’Europe face aux populismes, la crise migratoire, le climat…), c’est donc de laïcité dont il a été beaucoup question. Pour contrer les critiques. « Dans ses interventions, Macron a explicité sa vision d’une laïcité de reconnaissance », souligne l’historien et sociologue Philippe Portier. En clair, les voix religieuses doivent s’exprimer dans les débats publics et leurs réflexions sont nécessaires au bien commun. Et, comme aux Bernardins, le président a martelé au cours de sa journée que la France avait un « lien particulier » avec le catholicisme, justifiant ainsi sa rencontre avec le pape et la cérémonie au Latran.
Contrairement à une information qui circule depuis l’automne, Emmanuel Macron ne prononcera pas de discours sur la laïcité. Depuis son arrivée au pouvoir, le chef de l’État a rendu visite aux quatre principaux cultes représentés en France, délivrant à chaque fois de longs discours. Cet ensemble, selon l’Élysée, dessine sa vision de la laïcité, celle-là même qu’il est venu expliquer et mettre en pratique à Rome. À la Villa Bonaparte, qui abrite l’ambassade de France près le Saint-Siège, le président a confié qu’il avait eu avec François une « discussion philosophique », mais, a-t-il précisé, de « philosophie pratique ». Ils ont abordé, selon le président, « les sujets qui fâchent ».
D’après des confidences faites en petit comité, il semble bien qu’une grande partie de la discussion ait porté sur les questions bioéthiques. « Ce n’était pas une conviction l’une face à l’autre », a explicité Emmanuel Macron, ajoutant : « J’ai essayé de dire qu’elle était la situation à mes yeux. » Exercice pratique : l’ouverture d’un débat à l’automne sur la question de la PMA. À Rome avec le pape, comme aux Bernardins devant le monde catholique, le président Macron était, au moins pour partie, en opération de déminage. À l’entendre, l’art de gouverner est un art difficile, fait de compromis, voire de déséquilibres. « Il nous faut cheminer », a-t-il insisté.
Abordant la question de la PMA, il s’est interrogé : « Est-ce contraire à nos valeurs profondes, à notre droit ? C’est de cela dont il va falloir décider. » « Si le pape défend des principes moraux, Macron affirme, lui, qu’il doit composer avec le réel », explique Philippe Portier. À Rome – et sans doute est-ce paradoxal –, le président de la République a fixé les limites de la place des religions. Qu’elles interviennent dans le débat public, il l’appelle de ses voeux. Mais la raison publique s’imposera à elles… « En visite à Rome, Macron a pris en compte le phénomène de sécularisation ; le fait que la société n’était plus catholique », souligne Philippe Portier.
Quoi qu’il en soit, les relations entre le Vatican et la France se portent bien. La rencontre entre le pape et le président français l’a manifesté. S’il existe des désaccords de fond entre les deux hommes, ils sont plus ou moins contraints à faire alliance par le contexte politique de montée des populismes en Europe. Les embrassades, c’est clair, ont été chaleureuses. Très peu protocolaire, l’abbraccio appuyé de Macron au pape a quand même surpris… et agacé, dans des cercles de la curie romaine et dans les rangs politiques.
Le très réactionnaire ministre de l’Intérieur Matteo Salvini, le dirigeant de la Ligue du Nord, a ironisé via Twitter. « Mais vous avez déjà vu quelqu’un caresser le pape ??? » s’est-il moqué. «François connaît bien les hommes politiques, souligne un vaticaniste italien, relativisant l’affaire. Lorsqu’ils lui rendent visite, le pape sait qu’ils vont utiliser la photo. » Claquemuré dans son étiquette et son apparat, le Saint-Siège, se contentant d’un bref communiqué, n’a pas fait de commentaire. Et pour savoir ce que le Vatican et le pape ont pensé réellement de la visite d’Emmanuel Macron et s’ils comptent la mettre eux-mêmes à profit, il faudra bien attendre quelques mois. Ou l’éternité !
Bernadette SAUVAGET, à Rome
Photo : Alex Holyoake (CC BY 2.0)