Le Dieu des trois monothéismes est, il faut bien le reconnaître, revêtu d’atours très masculins. D’ailleurs, Thomas Römer, spécialiste du monde biblique professeur au Collège de France, le rappelle : à l’origine, Yahvé est un jeune dieu viril lié au tonnerre et à la montagne. À partir de la fin du VIIe siècle, tandis que le monothéisme s’affirme, la figure divine est moins marquée par l’anthropomorphisme, mais elle demeure, dans l’inconscient religieux, largement influencée par le masculinisme.
Comment s’en étonner alors que les clercs, prêtres et savants sont exclusivement des hommes ? Tout juste peut-on observer quelques traces féminines dans les représentations divines. Ainsi, la miséricorde de Dieu bouleverse ses « entrailles » au sens de l’utérus. Et l’une de ses figures, la Sagesse, est indiscutablement féminine. Jusqu’à nos jours, le judaïsme ne s’est guère ouvert aux femmes. Il faut attendre la fin du XXe siècle pour que les courants libéraux acceptent des femmes rabbins, rompant avec une longue tradition qui considérait qu’enseigner la Torah à une femme équivalait à la jeter à la futilité (tiflout1). Les relectures et interprétations récentes tendent à corriger ce masculinisme et à le considérer comme le fruit d’usages sociaux et culturels désuets et non comme venant de Dieu lui-même.
L’islam n’est pas moins masculiniste. L’inégalité entre les hommes et les femmes est largement inscrite dans sa tradition, même si aujourd’hui, des courants musulmans progressistes et féministes existent, qui réinterprètent les textes et soulignent que le prophète lui-même a confié une partie de ses enseignements à ses épouses, et tout particulièrement à Aïcha. Le christianisme, comme les autres monothéismes, a été l’affaire quasi exclusive des hommes pendant des siècles, conformément aux usages des sociétés dans lesquels il s’est développé.
Le vocabulaire religieux est fortement marqué par ce masculinisme. Ainsi en est-il de ce Dieu qui est dit Père, Fils et Esprit. À tout le moins, deux des termes sont explicitement masculins : père et fils. Certains théologiens soutiennent qu’esprit est un terme féminin, comme l’est le terme hébreu correspondant, rouah. Mais, quoi qu’il en soit, dans le christianisme, qui a la particularité d’être une religion de l’Incarnation, le coeur de la foi est révélé dans une personne particulière, Jésus, indiscutablement homme au masculin.
Est-ce à dire que le Dieu chrétien préfère le masculin ? C’est ainsi que les choses ont été comprises au cours des siècles. La préséance du masculin, en stricte conformité avec la culture du temps, a été la règle millénaire, sans qu’il soit d’ailleurs nécessaire de s’en expliquer, puisque les femmes étaient « naturellement » sinon des inférieures (on l’a cependant parfois soutenu), du moins des mineures qu’il fallait protéger, y compris d’elles-mêmes. Les femmes chrétiennes ont donc été placées sous la protection des pères, des époux, des fils, des évêques et des prêtres. Il semble cependant, qu’il y ait eu à l’origine du christianisme, tant dans l’attitude de Jésus que dans l’organisation des premières communautés croyantes, une nouveauté dans la façon de considérer les femmes. Les plus antiques des sacrements, le baptême et la participation au « Repas du Seigneur », l’ancêtre de la messe, ont été ouverts aux femmes sans la moindre discrimination. Au premier siècle, alors que le clergé n’est pas encore constitué, la présence des femmes est unanimement attestée.
Elles animent la prière, sont missionnaires et prennent la parole dans le cadre de la prédication. Le fait est si étrange et si inconvenant selon les usages du temps que Paul de Tarse restaure parmi les chrétiens et les chrétiennes les règles ordinaires de la société ; c’est dans ce cadre qu’il faut comprendre le « que les femmes se taisent dans les assemblées2 » qui, depuis lors, leur a valu d’être exclues de la parole d’enseignement de l’Église.
Et pourtant, le germe de l’émancipation des femmes était là, planté par Jésus lui-même, qui, contre les moeurs de son temps, non seulement s’est entouré de femmes mais leur accorde la plus grande attention et les traite d’égal à égale. N’est-ce pas d’ailleurs à elles qu’est confiée l’incroyable nouvelle de la Résurrection, n’est-ce pas elles qui seront les premières témoins, les premières missionnaires (mot qui en grec se dit « apostolos », c’est-à-dire « apôtre ») ?
Il faudra cependant vingt siècles pour que les femmes commencent à lire les Évangiles et découvrent qu’elles n’y sont ni des éléments de décor, ni des faire-valoir, ni même des personnages secondaires, mais bien des premiers rôles, des protagonistes à part entière de l’histoire, et des interlocutrices privilégiées de Jésus3.
Alors que le monde entier est frappé par l’incroyable vague initiée par #MeToo, la position des religions à l’égard des femmes est partout questionnée. La prise de conscience du poids d’une culture masculiniste et patriarcale met gravement en cause les schémas de genre des cultures religieuses qui assignent les femmes à des rôles liés à leur prétendue « nature », supposée être un « don » de Dieu.
La modestie des femmes, leur pudeur, leur sens du service, sont lus pour ce qu’ils sont ; des prétextes à l’effacement des femmes de la sphère publique et des lieux de décision au profit exclusif des hommes.
Le changement des mentalités est extrêmement rapide ; si les religions n’y prennent pas garde, si elles considèrent, comme c’est le cas de l’Église catholique, qu’elles ont le temps parce qu’elles ont reçu des promesses éternelles, elles deviendront, du moins dans la forme que nous leur connaissons aujourd’hui, des vestiges muséographiques d’une anthropologie passée.
Christine Pedotti
1. Michna Sotah 3, 4 et 21 – Talmud de Babylone.
2. 1 Corinthiens 14, 34.
3. Jésus, l’homme qui préférait les femmes, Christine Pedotti, Albin Michel, à paraître, octobre 2018.
Illustration : The Creation of God, Harmonia Rosales, huile sur toile, 2017. © Harmonia Rosales