D’abord accueillante, la population de Cartimandua ne tarde pas à devenir hostile : c’est qu’avec les sècheresses à répétition commence à apparaître la peur d’une gigantesque pénurie d’eau… Pour le plus grand profit de Ragazzini, un homme politique promettant retour à l’ordre, sécurité et eau. Dès lors, les tensions s’exacerbent, nourries d’inquiétudes irrationnelles, de fantasmes et d’égoïsmes… Comme si, pour défendre un liquide, il était nécessaire d’en répandre un autre, le sang. Rares sont ceux qui, comme la mère de Thiego, le principal narrateur, sentent monter la vague. Et même si les Nez-verts s’efforcent à la discrétion dans ce pays où ils ne sont plus les bienvenus, même si leurs gamins ne tournent autour de la citerne que pour en honorer le symbole comme le fait Karole, rien ne semble pouvoir arrêter le processus qui les transforme en parias. Jusqu’au jour où la grande citerne explose, provoquant l’élection de Ragazzini et, dégât strictement collatéral, la mort de Karole. Alors la nuit, Thiego sort taguer les murs… Juste pour « écrire contre ». Mais, dans ce pays cadenassé et frissonnant, « il faut se méfier des idées, on en meurt » et Thiego, dénoncé par son meilleur ami, est arrêté et envoyé dans un camp.
Mi-fable d’anticipation, mi-récit d’apprentissage, le court roman polyphonique de Céline Lapertot Ne préfère pas le sang à l’eau a valeur d’avertissement : quelles que soient les complexités d’un monde en proie aux doutes, elles n’excusent ni le repli xénophobe et ses simplismes sommaires, ni les indifférences causées par les servitudes volontaires qu’entraînent nos sociétés d’abondance… À lire pour l’urgence du propos.
ARNAUD DE MONTJOYE
Ne préfère pas le sang à l’eau, de Céline Lapertot, Viviane Hamy, 152 p., 17 €