Entre pression des différents lobbys, études contradictoires et cacophonies en tout genre à la Commission européenne, on en oublierait presque l’histoire de cet herbicide tant décrié.
Il était une fois l’ivraie, la mauvaise herbe, hantise depuis la plus haute antiquité du paysan, lequel n’a qu’un rêve : l’arracher, l’extirper, la liquider, si possible à tout jamais car l’ivraie est le parasite par excellence, qui confisque à son profit les bons nutriments de la terre. Ah, que de joies on se promet autour de ces grands bûchers qu’on dresserait pour brûler cette maudite peste… Et puis, le miracle est venu, et il s’est nommé « glyphosate » pour les savants, Round Up dans sa version commerciale, qui, en quarante ans, a conquis le monde. Il suffisait d’un peu de produit pulvérisé sur les feuilles pour que la plante importune tourne de l’oeil. En quelques jours, la vie la quittait, la laissant aussi ratatinée que si elle était passée par les feux de l’enfer, racines comprises. Mais, surtout, à peine le glyphosate magique avait-il fait son office qu’il disparaissait si sûrement qu’il était possible de semer le bon grain en toute sécurité.
Là où depuis des siècles on labourait aussi profondément que possible pour enfouir sous la terre les maudites herbes, on pouvait dorénavant se contenter de griffer la surface du sol. Tous les agronomes applaudissaient et encourageaient. Car, avec la puissance des tracteurs, les labours étaient devenus de plus en plus profonds et la terre retournée, exposée aux vents, à la pluie, au soleil, se lessivait inexorablement, tandis qu’à la profondeur du labour se formait, année après année, une couche de terre dure comme du béton, la « semelle de labour » qui interdisait la circulation de la vie animale et bactérienne entre les couches supérieure et inférieure.
Le mouvement était en route, présentant entre autres avantages, pour ceux des agriculteurs qui auraient eu une sensibilité au risque de pollution, d’utiliser moins de gas-oil : La pulvérisation du désherbant utilisant des rampes pouvant atteindre 42 mètres de longueur, le nombre de rotation du tracteur dans un champ était considérablement réduit et la consommation de carburant diminuée d’autant.
Mais l’ivraie a un autre nom, originaire de Sumer, là où l’agriculture fut inventée il y a quelques dizaines de millénaires : zizanie. Et, en effet, la discorde vint. Voilà que contre toute promesse, le merveilleux glyphosate ne disparaissait pas tout à fait, pas complètement. Et après quarante ans d’usage on en trouve partout en quantités résiduelles, et en particulier dans tous les ruisseaux, toutes les rivières, tous les fleuves, toutes les sources.
Et alors, diront certains, quelques molécules en très faible quantité, et même en partie dégradées, pourquoi s’alarmer ? Un rapport de l’Organisation mondiale de la santé estime que les preuves de leur effet sur l’homme sont « limitées » mais admet que l’exposition au glyphosate induit un « stress oxydant », facteur favorisant d’apparition des cancers. En quelques années les études se succèdent, les unes affirmant la toxicité du produit, les autres concluant à son absence. Qui croire, que croire ? Le doute est d’autant plus légitime que, dans cette histoire comme dans toutes les bonnes histoires, il y a un vrai méchant : Monsanto. C’est l’ogre de ce conte moderne. Une entreprise américaine (tout récemment rachetée par un autre géant, l’Allemand Bayer) vieille de plus d’un siècle, un géant de la chimie, aujourd’hui spécialisé dans les engrais, les herbicides, les produits phytosanitaires et aussi les semences génétiquement modifiées. Comme le brevet de l’herbicide est tombé dans le domaine public depuis plus de quinze ans – et c’est désormais là que réside son génie –, Monsanto crée aussi des semences qui résistent au glyphosate. Parce que préparer la terre est une chose. Mais, une fois que le grain germe, les adventices, c’est-à-dire toujours les mauvaises herbes, menacent de nouveau. Leurs semences reviennent, portées par le vent et les oiseaux. Pour pouvoir redésherber le champ, la seule solution est d’y avoir semé des plantes génétiquement modifiées ? Qui voudrait s’en priver ?
La firme ne vend pas que des produits, elle vend aussi le discours qui va avec. Elle subventionne les études qui lui sont favorables, quand elle ne paie pas POUR que les études lui soient favorables. Monsanto n’est pas un gentil géant vert, même si pulvérisé du haut du ciel, le glyphosate a servi à grande échelle à éradiquer les cultures de coca en Colombie, privant les narcotrafiquants de leur matière première. Mais cet usage ne suffit pas à faire passer la firme pour une bienfaitrice de l’humanité. Monsanto est un grand monstre multinational qui étend partout ses tentacules et son influence. Ce qu’on a appelé les « Mosanto Papers » a révélé le trafic d’influence auquel l’entreprise s’est livrée de façon constante pour éviter que l’innocuité de ses produits soit remise en cause.
La conclusion est sans appel : quand on met tant de moyens de dissimulation en oeuvre, c’est qu’on a de grandes choses à cacher.
La cause est donc entendue, il faut arrêter l’usage du glyphosate, au moins au nom du principe de précaution.
Eh oui, mais la mauvaise herbe, elle, est toujours là. S’il ne s’agissait que de celle qui prospère entre les pavés des villes et sur le gravier de nos allées, l’affaire serait simple, il suffirait d’un peu d’huile de coude. Mais qui va biner les champs ?
L’ivraie continue son oeuvre de zizanie et on entre dans un nouvel affrontement, celui de l’écolo des villes contre le pollueur des champs. La puissante Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) ne veut pas entendre parler d’interdiction tant qu’une alternative n’est pas disponible. La France a cependant soutenu une demande d’interdiction du glyphosate dans un délai de trois ans, sans succès : l’autorisation a été, en Europe, prorogée pour cinq ans. Néanmoins, la France va s’efforcer de faire la transition en trois années. Par quels moyens ? Un rapport du très sérieux Institut national de la recherche agronomique (Inra), en date du 1er décembre 2017, propose des solutions, désherbage mécanique, retour au labour, mulching, c’est-à-dire hachage d’une plantation de couverture végétale laissée sur le sol en guise de « paillage ». Est-il nécessaire de souligner que tout cela va nécessiter pas mal de tours de tracteur supplémentaires ? Quant à un produit de substitution, là, l’aveu de l’Inra est terrible : de tels produits « peuvent avoir des profils toxicologiques ou écotoxicologiques plus défavorables que celui du glyphosate ».
Bref, la guerre du glyphosate n’est pas terminée, d’autant que les paysans n’envisagent pas de suivre la recommandation de l’Évangile et d’attendre la moisson pour séparer le bon grain de l’ivraie.
Christine Pedotti
Photo : Chafer Machinery (CC BY 2.0)
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