Pour raconter et vivre la rencontre interculturelle, l’expression artistique est un cadre formidable. La Cimade l’a bien compris. Du 18 novembre au 10 décembre, elle organise le festival Migrant’scène, lequel propose pas moins de 250 événements dans une soixantaine de villes*. Jadis, le programme donnait à voir des artistes, migrants ou non, racontant des expériences de vie là-bas et ici, avec leurs histoires heureuses et leurs souffrances. Depuis l’an passé, et le choix du thème « Faire et vivre ensemble », Migrant’scène encourage les projets conçus ensemble par des personnes venues d’ailleurs et des Français d’origine. À Rennes, des migrants ont préparé des témoignages de vie (parcours d’exil ou découvertes des réalités françaises) pour les proposer aux usagers d’une bibliothèque. À Nevers, des bénévoles et des personnes accueillies ont monté un spectacle théâtral autour d’un récit de migration.
La collaboration de professionnels, intervenant souvent à titre bénévole, peut permettre de belles réalisations et des aventures humaines marquantes. C’est dans cet esprit que Marie-Ève Matichard, graphiste et sérigraphe à Saint-Étienne, par ailleurs militante à La Cimade, a souhaité faire travailler des binômes franco-syriens. « Pour ne pas attirer que des militants convaincus, j’ai annoncé l’organisation d’un stage gratuit de sérigraphie ordinaire. Seul un candidat s’est désisté en apprenant le caractère particulier du projet. » Grâce à une association investie dans le logement social, Soliha, elle est entrée en contact avec des Syriens qui ont accepté de se lancer dans l’atelier.
Ainsi, quatre binômes d’artistes néophytes ont pensé et réalisé une image en deux couleurs, avec des papiers découpés, autour du thème de la rencontre et du partage. « N’étant pas dans une démarche d’art-thérapie, j’ai voulu éviter les côtés douloureux du travail sur le passé, explique Marie-Ève Matichard. En deux ou trois séances, il est plus facile de créer une image positive. » D’autant que les participants syriens ont bénéficié d’une immigration organisée et connaissent des conditions d’accueil supérieures à bien d’autres. L’un d’entre eux, en France depuis deux ans, a assuré la traduction. Le langage des gestes a fait le reste. Les quatre productions représentent des mains qui se croisent et se superposent, des bouches qui se parlent à l’intérieur d’une maison ou encore un coq gaulois arborant, à la place de la tête, une fleur de jasmin, symbole de la ville de Damas. Avec des mots français et arabes. Au-delà du résultat artistique, c’est bien l’expérience humaine et interculturelle que visait le projet, intitulé Kairos**. « Ce fut très positif pour tout le monde, se réjouit la sérigraphe. Les Français participants n’auraient jamais fait la démarche de rencontrer leurs amis syriens. L’atelier les a plongés dans le contexte de la migration. »
Parmi les multiples propositions d’un festival qui décline tous les genres artistiques possibles, on retiendra l’exposition « Attention, travail d’Arabe », visible dans plusieurs villes de France. Conçu par l’association Remembeur, ce projet présente des affiches publicitaires détournées ou inventées, avec un humour parfois grinçant, afin de démonter les stéréotypes et préjugés racistes qui circulent sur les migrants.
PHILIPPE CLANCHÉ
* Rens.: www.migrantscene.org ou 0144187268.
** Exposition du 16/11 au 2/12/17 chez Soliha Loire (2, rue Aristide-Briand et de la Paix, Saint-Étienne). Rens. : saint-etienne@lacimade.org