Le discours du président des États-Unis à l’Onu a consterné le monde. Celui d’Emmanuel Macron, au contraire, vante un multilatéralisme qu’il se verrait bien incarner. Mais peut-on faire l’impasse sur les États-Unis ? Bertrand Badie, professeur de relations internationales à Sciences Po Paris répond à nos questions.
Emmanuel Macron peut-il réussir à soutenir le multilatéralisme, quand, face à lui, Donald Trump traite les problèmes de façon bilatérale ?
Nous sommes dans un contexte très défavorable au multilatéralisme. Partout sur la planète, un néonationalisme assez agressif se généralise. Et, pour la première fois, le phénomène touche la superpuissance des États-Unis. D’un certain point de vue, ce n’est pas trop grave, car les États- Unis ont toujours été culturellement réservés à l’égard du multilatéralisme. Franklin Roosevelt lui-même avait introduit, avec la complicité de Staline, l’idée de puissance porteuse de veto. Les choses s’étaient arrangées avec la présidence de Barack Obama, elles repartent dans le mauvais sens avec Trump. Mais le plus inquiétant, c’est que ce néonationalisme touche toute une série de pays comme la Russie, la Chine – de façon plus modérée et subtile –, des pays émergents comme le Brésil ou l’Inde, mais aussi des pays d’Europe orientale.
Paradoxalement, l’espoir peut venir du fait que le discours de Donald Trump a été extrêmement maladroit. Il a pris l’Assemblée générale des Nations unies pour une tribune d’où l’on pouvait glorifier l’intérêt national de chaque pays. En tenant des propos extraordinairement agressifs à l’encontre de la Corée du Nord et de l’Iran dans un lieu destiné à régler les conflits, il a fait peur aux autres membres de la communauté internationale, y compris aux plus souverainistes que lui ! Cela peut créer des réflexes multilatéraux chez les plus prudents et les plus réservés.
On peut donc miser sur une cristallisation des autres États face à Trump ?
Oui, d’une part, parce qu’une superpuissance agressive fait toujours peur et, d’autre part, pour une raison plus subtile, cette fois-ci indépendante des discours de Trump : le multilatéralisme progresse vraiment dès lors que les États en perçoivent l’utilité. Aucun pays n’est spontanément multilatéral, il le devient à partir du moment où il s’aperçoit que le souverainisme strict est trop coûteux et peut-être trop dangereux. C’est ainsi que l’on a pu construire de véritables et nombreuses conventions multilatérales, qu’il s’agisse de l’aviation civile, des télécommunications, de certains aspects de la santé publique mondiale… Sans convention sur l’aviation civile, plus un avion ne vole ! C’est la découverte de l’utilité qui permet de progresser dans le multilatéralisme. On l’a récemment constaté pour le climat : il y a un début de prise de conscience qu’un accord global est indispensable. La Chine, après avoir été longtemps réticente, en devient maintenant le défenseur, au nom du principe d’utilité. La source d’un optimisme raisonnable se trouve donc dans la découverte, mais qui demande du temps, de cette utilité du multilatéral finalement moins risqué, peut-être même plus généreux que le jeu strictement souverain.
La politique multilatérale, qui par définition est une pensée complexe, peut-elle être audible face à une pensée simpliste, celle de Trump ?
C’est la grande question. Lorsque Donald Trump parlait du haut de la tribune de l’Assemblée générale, on sentait qu’il s’adressait prioritairement à son opinion publique. Et je dirais à un double niveau : d’une part pour rester fidèle à ses promesses électorales, d’autre part pour entretenir ce populisme qui s’épanouit dès lors que l’on parle de la grandeur des États-Unis et que l’on menace haut et fort l’adversaire potentiel ou réel. Le néonationalisme qui souffle sur le monde aujourd’hui est davantage un instrument de contestation que de gouvernement. En courant derrière son opinion publique, Donald Trump se rassure.
Soit il va continuer dans cette voie, ce qui pourrait nous mener à un incident international majeur car la rhétorique finit toujours par céder le pas à l’action. Soit, sous la pression des diplomates professionnels, du Secrétaire d’État Rex Tillerson lui-même et de ses conseillers, qui ne sont pas tous hyperpopulistes, il reviendra au principe de réalité. C’est la grande question qui va nous occuper au cours des mois, peut-être des années à venir.
Propos recueillis par MARJOLAINE KOCH
Bertrand Badie, professeur franco-perse de Relations internationales à Sciences Po Paris et chercheur au Centre de recherches internationales, est l’auteur notamment de La Fin des territoires (Fayard 1995), Le Temps des Humiliés. Pathologie des relations internationales (Odile Jacob 2014) et Nous ne sommes plus seuls au monde (La Découverte 2016), où il aborde la question de l’exclusion des plus faibles dans le jeu de la diplomatie internationale.
Photo : John Gillespie (CC BY-SA 2.0)