ATD Quart Monde : aider les plus pauvres à prendre leur vie en main

Être « volontaire » pour ATD Quart Monde, c’est s’installer au cœur de l’habitat des plus pauvres pour apprendre à les connaître, gagner leur confiance et les aider à s’en sortir par eux-mêmes.

Prendre soin de varier l’heure à laquelle elle accompagne sa fille à l’école et à laquelle elle vient la chercher, pour croiser les parents qui sont en avance, ceux qui sont ponctuels, mais aussi ceux qui sont en retard. Passer du temps au parc à ne pas faire grand-chose, ne pas hésiter à rester longtemps sur un banc pour observer qui reste seul sans parler à personne. Aller faire ses courses régulièrement, pour créer un lien avec d’autres clients… Gaëlle, « volontaire » à ATD Quart Monde, cherche tous les moyens d’entrer en contact avec des personnes isolées : « Et plus spécialement ceux qui ont trop peur du regard des autres pour agir, afin de les informer de leurs droits et de les accompagner. En étant avec eux, nous les aidons à trouver la force et le courage de faire des démarches, d’aller voir les acteurs de terrain, associations, services publics qu’ils n’iraient jamais voir seuls. »

Arrivée à Lyon peu avant l’été 2020, en pleine pandémie, alors que les périodes de confinement et de couvre-feu se succédaient, elle ne ménage pas ses efforts. « Je joue un rôle de relais entre ces acteurs et les habitants. Ce n’est possible que parce qu’ils me font confiance car je suis leur voisine. »

Comme pour toute association, l’action d’ATD Quart Monde sur le terrain repose bien sûr sur des personnes bénévoles, les « engagés », et la centaine de salariés qui travaillent essentiellement au siège. Mais elle passe aussi par ses « volontaires ». Souvent en couple, comme Gaëlle et son compagnon Florian à Lyon, les volontaires sont en mission pour plusieurs années sur le terrain, en France ou à l’étranger, presque exclusivement en immersion dans des quartiers très défavorisés, où ils vivent parmi les plus pauvres. Avant Lyon, Gaëlle vivait à Béthune, déjà comme volontaire pour ATD Quart Monde, après quelques années pour d’autres ONG en Afrique et à Madagascar, où elle a rencontré Florian.

Pourquoi « volontaire » ? Pour signifier le désir d’engagement concret au plus près des plus démunis.

Le terrain d’abord

Si les volontaires sont très majoritairement en mission sur le terrain, les dirigeants du mouvement le sont aussi. Ainsi, Paul Maréchal, élu en 2018 pour quatre ans délégué national d’ATD Quart Monde pour la France, ingénieur de formation, a décidé de s’engager comme volontaire il y a plus de vingt ans, après un court passage en entreprise. Élu délégué national après des missions au Guatemala, à Noisy-le-Grand et à Montreuil, il cédera sa place en fin d’année et retournera sur le terrain avec son épouse, volontaire comme lui. Le délégué général du Mouvement international ATD Quart Monde, Bruno Dabout, élu pour quatre ans en 2021 après une vingtaine d’années de missions de terrain en France et à l’étranger, forme également un couple de volontaires avec son épouse. La journée ordinaire d’un volontaire consiste à prendre le temps de ­s’arrêter parler avec une personne seule, d’en accompagner une autre pour une formalité administrative, de jouer avec les enfants au square, au jardin partagé ou à la bibliothèque de rue… Le compagnon de Gaëlle, Florian, fait la même chose, en tenant compte des habitudes culturelles : pas question pour lui de se rendre chez une femme seule, mais il aura en revanche plus de facilité à établir le contact avec les garçons adolescents et les hommes.

Au cœur du sujet

« En tant que volontaire, quand on arrive quelque part sans connaître personne, il y a toujours une période d’installation un peu laborieuse, voire difficile à vivre. On est là pour accompagner les gens. Mais il faut pouvoir aller vers eux, leur parler afin qu’ils nous fassent confiance. Au début, quand on ne connaît encore ni voisins ni habitants du quartier, on a vraiment l’impression de ne rien faire ! Et, en 2020, la période n’était pas propice aux rencontres… Lorsque nous sommes arrivés, j’ai passé beaucoup de temps à ma fenêtre à regarder qui passait, à quelle heure, et à consigner ce que je retenais de ces repérages… » explique Gaëlle.

Dans le quartier populaire du 8e arrondissement de Lyon où ils vivent depuis deux ans, près de la station de tramway Grange-Rouge, il y a beaucoup de barres et de tours, souvent propriété du bailleur social GrandLyon Habitat. C’est un chantier permanent dans les îlots délimités par de grandes avenues, et il n’y a pas forcément beaucoup d’endroits où se croiser. Ici, une barre HLM vouée à la démolition, où quelques fenêtres pas encore murées permettent de repérer les appartements de ceux qui sont réfractaires au déménagement. Là, au pied de la tour HLM où Gaëlle a passé un an et demi, un petit square, mais le triste carré d’une centaine de mètres carrés, où subsistent quatre ou cinq bancs et un jeu pour enfants, est déserté, car l’autre moitié du parc est devenue un chantier où des ouvriers s’affairent dans le vacarme de leurs engins. À côté, la Maison de l’emploi a fermé à cause des travaux, et il faut désormais aller plus loin, de l’autre côté du grand boulevard, autant dire dans un autre quartier aux yeux de ceux qui vivent ici. Un fossé souvent infranchissable pour les personnes précaires et que les volontaires aident à enjamber.

Les volontaires sont également là pour ouvrir un accès à la culture et à l’éducation. Tous les mercredis en début d’après-midi, Gaëlle fait du « colportage » chez Rachida, une jeune femme handicapée, arrivée du Niger pour raisons médicales, qui vit seule avec son fils. Le colportage, c’est amener le livre à la maison, proposer de nouvelles habitudes de partage entre parents et enfants, à travers la lecture, mais aussi du dessin et du coloriage, ou même de la cuisine. Le mercredi, après une heure de colportage, Gaëlle va en général avec Rachida et son fils Imran à la bibliothèque de rue, un autre projet d’ATD Quart Monde.

Trois nattes étalées par terre, quelques dizaines de livres, des tréteaux et des planches sur lesquelles sont fixés des coupons de coton blanc, de futures bannières que peignent les enfants pour annoncer qu’ici se tient la bibliothèque de rue. Tous les mercredis après-midi, rendez-vous dans un passage, au pied d’un HLM, à deux pas d’un foyer d’héber­gement, le long du mur de la mosquée, en retrait du grand boulevard. Ici, personne ne doit avoir peur de venir, car il n’y a ni porte ni seuil à franchir. À la bibliothèque de rue, Béatrice, une alliée, prend le relais de Gaëlle et s’installe avec Imran. Pendant ce temps-là, Gaëlle lit son dossier scolaire.

Agir sans relâche

Le petit garçon de trois ans va à la maternelle mais cumule déjà les handicaps. En début d’année scolaire, il ne parlait pas du tout, n’écoutait pas et collectionnait les reproches de la maîtresse. Grâce à la relation de confiance tissée avec Gaëlle, sa mère a pu demander de l’aide. Béatrice a pris Imran sous son aile à la bibliothèque et lui lit tous les mercredis des livres, l’incite à parler et l’aide à apprendre à écouter tranquillement un adulte. De son côté, Gaëlle accompagne sa mère à l’école lors des convocations, pour aider à instaurer un dialogue. « La première fois qu’on est allées ensemble à l’école, Rachida et moi, on avait l’impression d’être au tribunal », glisse Gaëlle.

Ce mercredi, la bibliothèque est installée, et le temps gris du matin a cédé la place à une forte chaleur. Comme les visiteurs se font rares, Gaëlle décide de faire du porte-à-porte dans la petite tour HLM en bas de laquelle est installée la bibliothèque, avec l’objectif d’expliquer que les enfants peuvent venir en bas de l’immeuble, seuls ou accompagnés. Une petite dizaine de portes s’ouvriront et seuls quatre ou cinq enfants, nouveaux ou habitués, se rendront à la bibliothèque. Mais ce démarchage aura permis à Gaëlle de rencontrer la maman d’un enfant qui vient déjà, et de se rendre compte qu’une femme déjà croisée dans la rue habite ici. Autant de recoupements qui lui permettent de connaître un peu mieux les habitants du quartier. C’est donc positif. Gaëlle ne cesse de chercher le moyen d’aller vers les habitants.

À l’automne 2020, quelques mois après son arrivée, Gaëlle se demandait comment faire pour aller sonner à la porte à côté. « Je suis originaire d’Alsace, où, traditionnellement, on fait en fin d’année des bredala, petits gâteaux secs qu’on apporte parfois aux voisins. Avec Florian, on a consacré une journée à en préparer et à en emballer quatre-vingt-dix paquets pour pouvoir en offrir à tous les habitants des quinze étages de notre tour », explique-t-elle. Personne ne réagit de la même manière. Certains n’ouvriront pas, ou, méfiants, refuseront les gâteaux en refermant vite la porte au nez des deux volontaires. « Certains voisins ont ouvert avec un grand sourire et, émus, nous ont dit que c’était la première fois qu’on leur offrait quelque chose », se souvient Gaëlle. Parmi eux, certains sont revenus sonner chez Gaëlle et Florian avec leurs propres douceurs, ou un couscous.

Le principe peut paraître un peu simplet, mais permet effectivement d’instaurer l’échange dans un quartier où la multiplicité des origines et des cultures ne le facilite pas toujours… « Gaëlle, c’est la seule dans le coin qui parle à tout le monde », résume Rachida, la mère d’Imran.

Lorsqu’on interroge Namaa, une habitante du quartier qui a pu libérer une petite heure dans son emploi du temps surchargé pour parler d’ATD Quart Monde, on mesure l’intérêt de cette immersion au cœur des quartiers défavorisés. Namaa, la cinquantaine très dynamique, avant de devenir une femme hyperactive, très investie dans la vie de son quartier et une alliée d’ATD Quart Monde, a en effet été une jeune femme isolée, recluse chez elle et aidée par l’association.

« J’ai découvert ATD Quart Monde à Bron en 2001, en arrivant en France. Je venais du bled, j’ai rejoint mon mari, mais il travaillait toute la journée, on n’avait pas encore d’enfants et je ne parlais pas français… Je restais toute seule chez moi à déprimer et à pleurer, se souvient Namaa. Les volontaires d’ATD Quart Monde m’ont repérée, ils sont venus vers moi, et ils ont cherché à nouer le contact, malgré ma timidité, ma peur et le fait que je ne parlais pas français… Grâce à eux, j’ai découvert plein de choses, par exemple que je pouvais suivre des cours d’alphabétisation et bénéficier de la CMU. » Elle a appris le français, a participé aux sorties proposées à Bron par ATD Quart-Monde. Quelques années plus tard, lorsque ses enfants sont nés, Namaa s’est un peu éloignée de l’association et les volontaires qu’elle connaissait sont partis en mission ailleurs. Et puis ses enfants ont grandi et, quand elle a emménagé à Lyon, Namaa a repris contact avec ATD Quart Monde. Elle parlait français, elle avait changé, et elle avait davantage envie et besoin de faire pour les autres que d’être aidée.

Quand on entend Namaa, bavarde, souriante, exubérante, arrivée en trombe avec ses pâtisseries au miel, on mesure le chemin qu’elle a parcouru. Difficile de l’imaginer recluse dans un appartement alors qu’elle passe aujourd’hui ses journées à courir à droite et à gauche pour aider les uns et discuter avec les autres, sans oublier de houspiller ses ados pour qu’ils lâchent leur téléphone et bougent davantage. D’ailleurs, pour ses ados et tous ceux du quartier, Namaa a osé un coup d’éclat. La timide jeune femme qui ne parlait pas français n’a pas hésité à interpeller l’adjointe au maire de Lyon, venue présenter en réunion publique le programme de rénovation du quartier, pour lui faire remarquer que les adolescents étaient oubliés dans le projet. Namaa a ainsi obtenu que soit prévue l’installation d’équipements sportifs pour les ados qui voudraient fréquenter une salle de musculation mais n’en ont pas les moyens. Et, désormais, lorsque les élus organisent une réunion de concertation, ils convient Gaëlle, mais aussi Namaa. « ATD Quart Monde, ça apporte la joie, tu fais des choses ! » conclut Namaa, repartant en coup de vent vers un autre rendez-vous.

Partager un savoir-faire

Paul Maréchal, le délégué national, ne renie pas l’affirmation de Namaa. « Chez ATD Quart Monde, nous avons un “savoir-faire” que nous cherchons à partager dans les projets sur lesquels nous nous engageons : il faut toujours trouver comment faire participer les gens. L’objectif est de lutter contre la grande pauvreté avec ceux qui en souffrent. » L’association cherche toujours à inventer avec les plus pauvres des solutions pour les aider à sortir de leur condition. « ATD Quart Monde, c’est un peu un laboratoire de recherche appliquée ! » résume Paul Maréchal. Les projets sont multiples. Lancées en région parisienne dès 1968, les bibliothèques de rue comme celle de Lyon existent désormais aussi à l’étranger. Les universités populaires, créées en 1972, sont des espaces de réflexion impliquant les plus démunis et existent dans une dizaine de régions en France et autant de pays dans le monde. L’une d’entre elles a donné naissance à l’idée de la CMU (couverture maladie universelle), qui permet de ne plus réserver la sécurité sociale à celles et ceux qui ont cotisé régulièrement. Pour garantir des droits aux plus pauvres, ATD Quart Monde a aussi œuvré pour la création du RMI, l’ancêtre du RSA et du droit au logement opposable (DALO). ­L’association a aussi imaginé en 2011 l’expérience ­Territoires zéro chômeur de longue durée, un programme lancé en 2016 dans dix territoires, qui doit désormais être étendu à cinquante lieux supplémentaires et permettre ainsi aux personnes les plus éloignées de l’emploi d’obtenir un CDI. Chez ATD Quart Monde, on veut montrer que dépenser de l’argent pour aider les personnes privées d’emploi coûte plus cher que financer des emplois utiles à la collectivité. Accompagner les gens pour qu’ils s’en sortent, plutôt que les assister.

Séverine Charon

ATD (Agir tous pour la dignité) Quart Monde

  • Fondée en 1957 par le père Joseph Wresinski et des habitants d’un bidonville de Noisy-le-Grand.
  • Présente dans plus de 30 pays.
  • 17 700 adhérents et membres actifs, dont 10 800 bénévoles, alliés et militants.
  • 375 volontaires d’une quarantaine de nationalités différentes, dont 120 en France.
  • Environ 100 salariés en plus des volontaires.
  • www.atd-quartmonde.fr

Les volontaires d’ATD Quart Monde : une pauvreté choisie

Un volontaire vit avec peu de moyens matériels : chacun reçoit une indemnité fixée en fonction du niveau de vie du pays de sa mission (700 euros en France), à laquelle s’ajoutent un éventuel complément en fonction du nombre d’enfants à charge et la prise en charge du loyer. Les volontaires vivent généralement au cœur du quartier où ils sont en mission. Le principe est de leur assurer un revenu de subsistance pour qu’ils puissent consacrer leur temps à leur mission, et agir dans la durée. Ils ont un statut de salariés et bénéficient ainsi de la protection sociale de droit commun (sécurité sociale, mutuelle, retraite…). Leur salaire déclaré, en général au niveau du Smic, est reversé à une caisse de péréquation qui finance les indemnités de tous, les compléments enfants et les loyers selon un principe d’égalité.