« Le fait qu’un grand pays ayant une longue tradition démocratique ait changé sa position sur cette question interpelle le monde entier. » C’est par ces mots que les autorités catholiques, au Vatican, commentent la décision de la Cour suprême des États-Unis de révoquer l’arrêt Roe vs Wade, qui, depuis 1973, assurait la légalité de l’avortement sur l’ensemble du territoire américain. Désormais, chacun des États de l’Union peut déterminer sa politique en la matière, jusqu’à choisir l’interdiction absolue. Quelques heures après la décision de la Cour, treize États l’avaient interdit et treize autres en prenaient le chemin.
Le Vatican a raison sur un point, c’est que cette décision interpelle, et en premier lieu, la démocratie. En effet, les juges de la Cour suprême des États-Unis ne représentent pas directement la nation. Ils sont normalement là pour protéger les droits constitutionnels des citoyens et citoyennes. C’est précisément là que le bât blesse. Écrite à la fin du XVIIIe siècle et amendée principalement au début du XIXe, la Constitution ne connaît pas « les citoyennes », lesquelles n’obtiennent le droit de vote que par la ratification du dix-neuvième amendement en 1920.
Dès lors, une lecture fondamentaliste et littéraliste permet aux juges de prétendre que le droit des femmes sur leur propre corps n’est pas garanti par la Constitution. Et ceci en dépit de cinq décennies de légalité de l’avortement et du soutien très majoritaire de l’opinion publique à l’arrêt Roe vs Wade.
Une petite minorité, riche, militante et agissante a donc eu raison, contre la majorité et la santé des femmes, surtout celles des femmes pauvres qui ne pourront pas aller avorter dans un autre État. Pauvres et… noires, intersection des malheurs.
Ne soyons pas dupes ; la question n’est pas celle du respect de la vie, contrairement à ce que le Vatican voudrait faire croire. La Cour suprême en a d’ailleurs fait la preuve, la veille, en interdisant aux États de restreindre le droit du port d’arme. Ce qui est en question, c’est le corps des femmes et le droit que les hommes s’arrogent de le soumettre et de le contrôler. Ici, il n’est pas question de morale, mais de politique. Et, si on soulève le voile prétendument pudique du respect de la vie, on trouve la grande peur , celle d’un grand remplacement, d’une guerre des ventres gagnée par les « autres » – Noirs, métis, musulmans. De quoi, en effet, être interpellés.
Christine Pedotti
Photo : Ted Eytan (CC BY-SA 2.0)