Quelle est l’ampleur du phénomène et à quoi tient-il ?
L’inflation revient partout, mais à des degrés divers. Après une décennie en dessous de 2 %, ce qui la menaçait de déflation, la zone euro est remontée à 5 % en 2021, les États-Unis à 7 % et la France à 2,9 %, l’Insee prévoyant même 3,5 % en 2022. Cette résurgence tient d’abord à des raisons conjoncturelles : la forte reprise économique en Europe en sortie de crise sanitaire, stimulée par des politiques expansionnistes fondées sur des taux d’intérêt bas, intervient alors que les circuits logistiques ne se sont pas complètement remis du Covid et que l’offre des industriels asiatiques peine à suivre la demande. Par ailleurs, le prix de l’énergie, après un cycle baissier, repart à la hausse. Cela vaut surtout pour le gaz, d’autant que la Russie limite ses livraisons pour faire pression sur l’Europe dans la crise ukrainienne.
Ce retour est-il temporaire ou durable ?
L’inflation risque de durer car interviennent aussi des raisons structurelles dans ce phénomène. La demande d’énergies fossiles et de matières premières est telle que les producteurs doivent les extraire toujours plus loin et plus profond sur terre ou en mer, d’où un renchérissement structurel des coûts de production. Ensuite, la transition écologique indispensable impacte les coûts de production à court et moyen terme. Par exemple, fabriquer une voiture électrique, mettre en place un réseau national de bornes de recharge, cela requiert au départ de gros investissements, qui se répercuteront sur les prix de vente des véhicules. Et il va falloir attendre avant que les économies d’échelle permettent de démocratiser ce type d’équipement. Enfin, le réchauffement climatique rend plus aléatoire les récoltes et provoque une flambée des prix des denrées alimentaires. Ainsi, en 2021, des gelées tardives ont fait exploser ceux des fruits et du vin en France. Et on a assisté au niveau mondial à une hausse importante des cours du blé liée à de mauvaises récoltes en Amérique du Nord et en Russie.
Qui sont les gagnants et perdants de ce retour de l’inflation ?
L’État y gagne puisque le retour de l’inflation réduit le poids de la dette publique sans qu’il ait à serrer le budget. À l’inverse, les ménages pauvres sont affectés bien plus que les riches : une grande part de leurs dépenses est consacrée à l’énergie et à l’alimentation, dont les prix s’envolent, et ils ne peuvent puiser dans leur épargne pour absorber le choc comme le font les ménages aisés.
Quels risques ce phénomène fait-il peser sur notre économie ?
En période inflationniste, les salariés se mobilisent davantage pour arracher des augmentations compensant leur perte de pouvoir d’achat. Ces augmentations nourrissent l’inflation, qui est compensée par de nouvelles hausses de salaire. On entre alors dans une spirale inflationniste, comme celle que la France a connue dans les années 1970 et jusqu’au début des années 1980. Mais, à l’époque, en Europe comme aux États-Unis, les syndicats étaient plus puissants et obtenaient plus facilement satisfaction.
Que peuvent donc faire les acteurs de l’économie pour juguler l’inflation ?
La Banque centrale européenne (BCE) se fixe un objectif de 2 % d’inflation par an, qu’elle tente d’atteindre en manipulant son taux directeur et en communiquant de manière à contrôler les anticipations des marchés. En augmentant ce taux, la BCE renchérit le coût du crédit et pèse sur l’inflation. Mais cela a pour conséquence de ralentir l’économie puisqu’emprunter pour investir ou consommer revient plus cher aux entreprises comme aux ménages. Le monde a déjà vécu cette situation au début des années 1980 quand la Fed, la banque centrale américaine, a augmenté son taux directeur très fortement. Les Européens ont suivi dans un objectif de stabilité monétaire. Certes, l’inflation s’est alors tassée, mais, dans certains pays, comme la France, le chômage a explosé.
Propos recueillis par Frédéric Brillet.