Lecture du 13 février 2022 (6e dimanche du temps ordinaire)

Pourquoi cette peur, ce rejet de la politique, du grec politikos – tout ce qui concerne l’organisation de la cité ? Parce que certains – rares en réalité –, hommes ou femmes, la détournent à leur profit ? « Ne jetons pas l’enfant avec l’eau du bain ! » Tout est politique, la vie est succession d’actes à résonance « politique ».

Évangile de Luc 6, 17.20-26

En ce temps-là, Jésus descendit de la montagne avec les Douze et s’arrêta sur un terrain plat. Il y avait là un grand nombre de ses disciples, et une grande multitude de gens venus de toute la Judée, de Jérusalem, et du littoral de Tyr et de Sidon. Et Jésus, levant les yeux sur ses disciples, déclara : « Heureux, vous les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous. Heureux, vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés. Heureux, vous qui pleurez maintenant, car vous rirez. Heureux êtes-vous quand les hommes vous haïssent et vous excluent, quand ils insultent et rejettent votre nom comme méprisable, à cause du Fils de l’homme. Ce jour-là, réjouissez-vous, tressaillez de joie, car alors votre récompense est grande dans le ciel ; c’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les prophètes. Mais quel malheur pour vous, les riches, car vous avez votre consolation ! Quel malheur pour vous qui êtes repus maintenant, car vous aurez faim ! Quel malheur pour vous qui riez maintenant, car vous serez dans le deuil et vous pleurerez ! Quel malheur pour vous lorsque tous les hommes disent du bien de vous ! C’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les faux prophètes. »

Foi et politique

L’autre jour une amie féministe catholique se heurtait à une question fondamentale : peut-on vivre en chrétien et faire de la politique ? Face à l’Église et son conservatisme patriarcal, face à tous les « faux prophètes » qui vantent leurs racines chrétiennes, la militante baissait les bras. Les textes liturgiques d’aujourd’hui et les Béatitudes proposées par l’évangéliste Luc nous rappellent que si le christianisme n’est pas un parti politique, notre foi en Christ ne nous dispense pas d’une attitude politique.

Dans les Béatitudes de Luc, nous ne sommes pas dans la pauvreté ou la faim spirituelles comme chez Matthieu. Saint Luc parle vraiment de pauvreté matérielle et de faim physique. Chez lui, les disciples comme les apôtres peuvent faire des choix extrêmes : la faim, la pauvreté, voire la persécution, pour suivre Jésus. Évidemment on ne peut souhaiter à personne d’être pauvre économiquement, d’avoir faim et de mendier. La pauvreté place parfois les personnes dans une posture humiliante, pour ne pas dire déshumanisante. La dignité de chaque être humain passe aussi par sa propre faculté à assurer ses besoins élémentaires : se nourrir, se loger. Mais, attention, Luc ne jette pas tant l’opprobre sur les riches en tant que personnes, mais plutôt sur la manière dont la richesse est utilisée. Ainsi, la richesse utilisée pour l’accueil de l’étranger ou le soutien à la mission n’est absolument pas condamnable.

Pour Luc, le royaume de Dieu est non seulement à venir, avec le retour de Jésus – la « ­parousie » –, mais il est déjà là. Tout l’Évangile de Luc cherche à renforcer l’idée que l’action actuelle de l’Église marche de pair avec l’exaltation future du Christ. Et cela se sent parfaitement dans l’exemple actuel : toutes les actions qui sont faites aujourd’hui dans le royaume de Dieu actuel, comme l’absence de celles qui devraient l’être mais ne le sont pas, auront des conséquences à la fin des temps. Ainsi, le royaume de Dieu n’est pas quelque chose d’inaccessible, puisque nous pouvons le construire aujourd’hui. Pas besoin d’attendre ! C’est cela qui est formidable. Alors dans quoi investissons-nous sur terre pour être riches au ciel, riches en humanité ?

Pour en revenir à l’interrogation de départ, j’écrirai que toute personne qui se considère comme chrétienne – et non un de ces faux prophètes qui, comme le rappelle Luc, étaient adorés par le peuple parce qu’ils prononçaient des paroles flatteuses et apaisantes à leurs oreilles –, toute personne a donc le devoir et le pouvoir d’être dans une attitude de « Béatitude ». Autrement dit, c’est notre devoir, ici et maintenant, de faire advenir le royaume de Dieu. En étant soi-même pauvre et affamé ? Non, pas forcément. Mais certainement en faisant en sorte que nos richesses matérielles ne soient pas acquises au détriment de la dignité de certains. En préservant la terre et en proposant une juste répartition de ses richesses. Alors, oui, il faut peut-être dans ce monde faire résonner des voix dissonantes. Est-ce que cela en vaut la peine ? La réponse des Béatitudes est claire…

Tellou

Photo : Ryk Neethling