Vendredi 15 octobre, à la surprise générale, les sociaux-démocrates (SPD), les Verts et les libéraux (FDP) ont annoncé le succès des entretiens exploratoires qu’ils ont menés en vue de former une coalition gouvernementale. Trois semaines après les législatives, ceux-ci se sont concrétisés dans un document de douze pages présentant les principales orientations des quatre prochaines années. Loin du scénario de 2017, quand le FDP avait claqué la porte des négociations en raison de désaccords avec les écologistes, les deux petits partis semblent avoir compris que leur entente constitue leur ticket d’entrée dans le gouvernement. Mais pas à n’importe quel prix. « Pour comprendre les forces en présence, il faut se souvenir du traumatisme qu’a vécu le FDP après sa coalition avec la CDU [chrétiens démocrates] de 2009 à 2013. Vidé de sa substance, il avait ensuite réalisé le pire score électoral de son histoire, souligne Uwe Jun, politologue à l’université de Trèves. Cette fois, il cherche à dicter ses conditions. »
Ce n’est donc pas un hasard si le premier point du texte concerne « un État moderne et un renouveau numérique », dans lequel « la rapidité des procédures » et « une administration plus agile », trois thèmes chers au FDP, sont mises en avant. De même, la formulation qui évoque la « lutte contre le réchauffement climatique dans une économie socioécologique de marché » porte la marque des libéraux, qui placent les entreprises et l’innovation au cœur de la transition écologique. Pour autant, les Verts sont parvenus à emporter plusieurs points majeurs comme « l’abandon du charbon, qui sera idéalement atteint d’ici à 2030 », contre 2038 actuellement, via le développement massif des énergies renouvelables : 2 % de la superficie du pays devra être consacrée à l’éolien et l’installation de panneaux solaires sur les bâtiments neufs deviendra obligatoire. En revanche, ils ont dû reculer sur la limitation de la vitesse sur les autoroutes et ont été épinglés par l’activiste des Fridays for Future Luisa Neubauer sur « l’absence de prix de la tonne de CO2 ».
Verts et sociaux-démocrates ont en outre obtenu gain de cause sur le relèvement du salaire minimum de 9,60 à 12 euros de l’heure, la limitation du recours aux mini-jobs, dont le montant du salaire sera augmenté à 520 euros par mois, ou encore le maintien de l’âge de la retraite. Les partenaires veulent aussi remplacer l’actuel revenu de base – loi Hartz IV –, l’une des mesures les plus strictes de l’Agenda 2010 introduit par Gerhard Schröder, par « un revenu citoyen qui doit respecter la dignité de l’individu ». Sur le plan fiscal, en revanche, la signature du FDP est clairement reconnaissable : « Nous n’introduirons pas de nouveaux impôts et n’augmenterons pas les prélèvements », indique le texte. Aux oubliettes donc l’impôt sur les grandes fortunes voulu par les Verts et le SPD. « Nous aurions voulu obtenir de l’allègement pour les bas salaires et un peu plus de charge fiscale sur les classes les plus aisées, mais cela n’a pas été possible », a regretté Norbert Walter-Borjans, le coprésident du SPD.
Enfin, alors que les Verts prônaient un relâchement du frein à l’endettement pour permettre des investissements massifs dans la protection du climat et les infrastructures, le document rappelle son attachement à ce principe, qui limite l’endettement annuel de l’État à 0,35 % du PIB. Une mention venant du SPD et des libéraux, qui vise aussi à rassurer les chrétiens-démocrates. Quant au pacte de stabilité de la zone euro, dont l’Élysée réclame l’assouplissement, le texte précise qu’il « a prouvé sa flexibilité ». « Sur cette base, nous voulons assurer la croissance, maintenir la soutenabilité de la dette et prévoir des investissements durables et respectueux du climat », ajoutent les signataires, sans donner plus de détails. Cela viendra dans la seconde phase des négociations, qui ont démarré cette semaine et qui devraient, si tout va bien, aboutir à un contrat de coalition, texte plus concret d’environ cent cinquante pages. Les partis devront pour cela entrer dans le cœur du sujet en précisant les notions abordées dans ce premier jet et en énonçant les montants d’investissements prévus par secteur ou encore la répartition ministérielle. Ils espèrent y parvenir pour la fin novembre et au plus tard à Noël.
Gwénaëlle Deboutte, à Berlin.