La surprise a surgi, ce week-end, sur Twitter. Un peu comme on jette une bouteille à la mer, un petit groupe d’activistes catholiques a lancé le hashtag #MyChurchToo #AussiMonEglise pour s’emparer des suites à donner au rapport Sauvé, présenté le 5 octobre. Les chiffres publiés ont provoqué une déflagration mondiale. Le caractère systémique et les responsabilités de l’institution mis au jour mettent l’épiscopat au pied du mur. Car le rapport exige que soient institués un juste mécanisme de réparations et d’indemnisations des victimes et des réformes structurelles dans l’Église catholique.
Sur Twitter, l’opération a démarré, vendredi à 15 heures, en référence à la passion du Christ, sous la plume de l’ancien blogueur Erwan Le Morhedec. C’est l’un des initiateurs, avec Pierre-Yves Stucki, engagé, lui, aux Semaines sociales, de ce hashtag qui s’est répandu comme une traînée de poudre, touchant d’abord des cercles intellos et parisiens d’éditeurs, d’avocats ou de journalistes. « Laïcs, nous réclamons les réformes nécessaires. Pas au rabais, pas au minimum. Avec ambition ! » écrit Erwan Le Morhedec. « Il fut un temps où un ministre remettait sa démission. Nous demandons que les évêques ayant couvert des actes pédocriminels ou ayant manqué de vigilance remettent leur charge », écrit l’ultra-classique éditeur François Maillot, ancien patron de La Procure. Sous ce hashtag, le catho de base exprime sa solidarité avec les victimes, réclame des réformes, exprime sa volonté d’une forme de cogestion de l’Église. Un mouvement très soutenu, y compris par la théologienne Anne Soupa, une unanimité rare dans le catholicisme de l’Hexagone. « Des milliers de baptisé·e·s se dressent spontanément pour exiger les indispensables changements dont l’Église a besoin ! C’est un souffle de démocratie, si longtemps espéré. Messieurs les évêques, ouvrez les oreilles », salue la théologienne.
La colère des catholiques français ressemble à s’y méprendre à celle des catholiques allemands, il y a trois ans. Le seul dépouillement des archives – préalablement triées – des 27 diocèses avait révélé 3 766 affaires de pédocriminalité de 1947 à 2014, période sensiblement équivalente à celle étudiée par la commission Sauvé. Le scandale avait abouti au lancement du chemin synodal allemand, qui fait trembler les conservateurs de l’Église. La France est-elle à la veille d’une telle exigence ? Mais, pour l’heure, les moyens des laïcs catholiques français sont loin d’être équivalents à ceux de leurs voisins d’outre-Rhin. Le comité central des catholiques allemands (ZdK), la structure qui les représente, est très puissant et conduit à parité l’actuel chemin synodal.
Plutôt bons élèves de la classe, les instigateurs de #MyChurchToo ne relient cependant pas leur opération aux propos désastreux tenus, le 6 octobre sur France Info, par Éric de Moulins-Beaufort, le président de la Conférence des évêques de France (CEF). En affirmant que le secret de la confession était au-dessus des lois de la République et en renouvelant son appel aux dons des fidèles pour financer les futures indemnisations dues aux victimes, le patron des évêques heurtait de front les préconisations du rapport Sauvé. Cela augure singulièrement mal de la suite. Le lancement du synode sur la synodalité qui a eu lieu ce week-end risque d’être, en fait, l’argument derrière lequel la hiérarchie catholique va se retrancher quant à une réforme sur la gestion interne du pouvoir.
Pour le moment, les signaux en provenance de Rome, en la matière, ne sont pas rassurants, ni encourageants. Tenu au courant des chiffres désastreux quelques jours avant la remise du rapport Sauvé, le pape François a promptement exprimé sa « honte » et « son immense chagrin ». Les deux principaux prélats en charge du dossier de la pédocriminalité au Vatican, le cardinal archevêque de Boston Seán O’Malley et l’archevêque de Malte Charles Scicluna, ont surtout salué, eux, le « courage » des évêques français, estimant nécessaire que la société produise à son tour des études sur les abus sexuels à l’encontre des mineurs. « Si vous me demandez si nous devons faire de nouvelles lois, je dirai non. Assez de documents, assez de sermons, nous devons passer à l’action », a répondu Scicluna, interrogé par Vatican News. Pourtant – et ce n’est qu’un exemple – la réforme du droit canonique est, comme le souligne le rapport Sauvé, urgente.
Bernadette Sauvaget