Quel est le diagnostic qui vous a poussé à écrire cette lettre ouverte au président de la République ?
J’ai passé un temps dans les coulisses de la politique, où j’ai représenté des élus nationaux vis-à-vis des corps intermédiaires. Je me suis alors rendu compte de l’éloignement assez dramatique qu’il y avait entre les pouvoirs publics nationaux et la société civile. C’est ce qui m’a conduit à créer un observatoire au carrefour des pouvoirs publics et des citoyens engagés. Il vise à répondre à cette solitude institutionnelle très grande, mal vécue par des gens de terrain peinant à être associés aux décisions qui les concernent, et qui nous concernent tous.
Nous avons tenté de dresser, avec des personnalités engagées de tous bords, un état des lieux de notre démocratie sous ce prisme très révélateur de la prise en compte des corps intermédiaires par le pouvoir. Le président Macron incarne, peut-être malgré lui, l’aporie constitutive de notre république, dans laquelle le prince ne s’adresserait qu’à des sujets citoyens pris individuellement. Or, cela ne fonctionne pas complètement, il faut trouver des voies pour rapprocher élus et citoyens. Ma réponse, c’est de valoriser l’engagement.
Quels types d’engagement, et comment envisager l’engagement aujourd’hui ?
Les politiques ont l’habitude des corps intermédiaires sociaux, patronaux et de salariés. Mais ils peinent à prendre en compte l’importance de l’engagement dans sa globalité : associations, fondations, syndicats, ONG, laboratoires d’idées… chacun représente un lot de réalités qui échappent au radar du monde politique.
Pour moi, ces corps intermédiaires au sens large sont plus qu’un maillon entre les politiques et les citoyens, ils sont la chaîne. Ce sont eux qui relient les personnes, même les plus isolées, jusqu’au sommet de l’État. Ces organisations sont les sentinelles de notre démocratie, et mon propos, avec cet essai, est d’« engager » le pouvoir à mieux les prendre en compte. Même si Emmanuel Macron, avant d’être élu, a été membre de beaucoup de corps intermédiaires, les commentateurs incrimineraient plutôt son manque d’appétence en la matière. Il n’y a pas forcément de contradiction mais plus probablement une mue de sa part sur le sujet depuis quelque temps, avec une volonté de chercher à associer plus largement les Français, notamment avec l’annonce d’un second grand débat à l’été. Cela montre une conscience du vivier d’idées, de l’expertise considérable accumulée sur le terrain. Et je pense que l’une des grandes leçons du Covid-19, c’est l’idée que l’État ne peut pas tout faire ; une méthodologie pour associer au mieux les Français, ceux qui sont engagés, reste à adopter. Et pourquoi ne pas puiser en partie dans la doctrine sociale de l’Église afin de rapprocher notre ordre social de l’ordre politique ? Dans l’architecture du pouvoir telle qu’on la connaît, on ne se donne pas les moyens de prendre en compte l’engagement des hommes et femmes de bonne volonté du pays !
Quelles sont les grandes lignes de vos propositions pour rapprocher les « engagés » du pouvoir ?
Le prérequis est d’admettre qu’il existe un fait global de l’engagement. Aujourd’hui, l’État ne considère l’engagement que par des rattachements extrêmement multiples qui ne donnent jamais une vision exacte des points d’appui que l’on peut avoir, aussi bien dans la prise de décisions que dans leur exécution. Un exemple : les syndicats patronaux sont liés au ministère du Travail ; les associations pour la jeunesse dépendent d’un secrétariat d’État à l’Engagement, localisé rue de Grenelle au ministère de l’Éducation ; l’économie sociale et solidaire dépend du secrétariat d’État de même nom, etc. Les pouvoirs publics ont donc une vision éclatée de l’engagement des Français. Ma première proposition est de créer un coordonnateur national de l’engagement rapportant directement au Président pour livrer un travail de synthèse, d’identification des enjeux, en mettant autour de la table les bonnes personnes pour permettre la confrontation des idées. D’une façon générale, le chantier que je porte vise à offrir une meilleure respiration démocratique au pays, qui en a très largement besoin.
Propos recueillis par Marjolaine Koch.