Une grosse fièvre, une toux, la perte du goût et de l’odorat : au fil des mois, les Français ont appris à reconnaître les premiers symptômes du Covid-19. Mais la pandémie mondiale qui nous accable depuis bientôt un an peut également avoir d’autres conséquences, moins visibles, mais potentiellement très invalidantes, allant de la perte de sommeil aux idées suicidaires, en passant par la hausse des addictions et des dépressions.
En cause : la peur de tomber malade, mais aussi la perte de relations sociales induites par les confinements et les couvre-feux. La méfiance, enfin, qui fait de l’autre un danger potentiel. Et le temps n’arrange rien, puisque le deuxième confinement a été majoritairement moins bien vécu que le premier. Lors d’un sondage réalisé par l’Ifop pour le site Consolab auprès de deux mille Français de 18 ans et plus, près de 38 % des personnes interrogées déclaraient souffrir de troubles du sommeil en novembre dernier, contre 32 % en temps « normal », et 28 % se plaignaient d’avoir un « mauvais moral », contre 16 % en novembre 2019. Un sondage qui montre également une hausse de l’anxiété, des épisodes de dépression et même des pensées suicidaires.
« Effectivement, dans les services d’urgence, nous avons davantage de passages à l’acte aujourd’hui que plus tôt en 2020 », s’inquiète la psychologue et psychanalyste Christelle Ducasse. Dans son cabinet parisien, la professionnelle constate aussi une explosion de la demande de consultations : « Le plus difficile à gérer pour nous tous est de ne pas savoir quand nous allons sortir de cette période. L’être humain a besoin de repères, dans le temps comme dans l’espace, et il est plus difficile d’en avoir aujourd’hui. Avec le télétravail, par exemple, on reste chez soi, on perd la possibilité de se confronter à l’autre, comme quand un collègue passe la tête à l’entrée du bureau pour raconter son week-end. Tout cela peut sembler sans importance, mais c’est dans cet équilibre entre intimité et monde extérieur que nous nous construisons. » À ce déficit en relations sociales vient s’ajouter une nouvelle peur, celle des conséquences économiques et sociales de l’épidémie de Covid-19.
Les jeunes paient un lourd tribut
Un mal-être qui touche toutes les générations, mais particulièrement les plus jeunes, alors que deux tentatives de suicide d’étudiants ont fait l’actualité la semaine dernière. Selon les chiffres de l’Union nationale des étudiants de France, sept étudiants sur dix se disent inquiets pour leur santé mentale. « Les personnes plus âgées ont vécu, elles se sont construites au gré des incidents et des accidents de leur vie, et c’est ce qui leur permet de prendre du recul par rapport à la situation actuelle, décrypte Christelle Ducasse. Pour les jeunes, c’est beaucoup plus compliqué puisqu’ils sont en pleine construction. » « Tout ce qui contribue à structurer le psychisme chez les jeunes a disparu, analyse Jean-François Rouzières, psychanalyste à Neuilly-sur-Seine. Ils sont privés de visages, d’embrassades, de fêtes. Certes, pour certains jeunes, cette période est l’occasion de redécouvrir le goût de la lecture… Mais beaucoup s’éteignent, notamment ceux qui sont confinés 24 heures sur 24 dans une famille pathogène. » Nos spécialistes redoutent donc particulièrement les effets à moyen et long terme de cette période hors norme sur une partie de la jeunesse. Suicides, passages à l’acte, conduites à risques, petite délinquance pourraient exploser à l’issue de la crise sanitaire.
Et ce d’autant plus que peu de moyens sont mis en place pour aider ceux qui souffrent psychologiquement de cette période, jeunes ou moins jeunes : un numéro vert d’appui psychologique, le 0800 130 000, a bien été mis en place avec la Croix-Rouge, Sida Info Service, SOS Amitié et SOS Crises. En novembre, il recevait déjà vingt mille appels par jour. La ministre de l’Enseignement supérieur a également annoncé la création d’un « chèque soutien psychologique » de trois consultations pour permettre aux étudiants d’aller consulter des psychologues en libéral. Mais c’est encore trop peu pour les syndicats étudiants, qui réclament une véritable réouverture des universités, et pas seulement celle des cours de première année, comme annoncé il y a dix jours. Mais le gouvernement a déjà prévenu que le retour à l’université de tous les étudiants n’était pas du tout d’actualité. La longue attente risque donc de continuer.
Sandrine Chesnel