Selon un sondage Ipsos/Sopra Steria réalisé cet été dans vingt-sept pays, les Français sont avec les Hongrois, les Polonais et les Russes les plus réticents à se faire vacciner : à peine plus de la moitié d’entre eux sont d’accord, contre trois quarts des sondés au niveau mondial. Ce qui place notre pays loin derrière la Chine, l’Inde, le Brésil, ou l’Australie, et même les États-Unis, où les deux tiers de la population sont prêts à la vaccination. Ceci n’est pas nouveau. Mais on pouvait espérer que l’épidémie de Covid serait une sorte de terrible leçon de choses à grande échelle. Au printemps, l’opinion avait pourtant largement réhabilité Roselyne Bachelot et faisait pression sur le gouvernement et sur l’Europe afin qu’ils réservent suffisamment de doses pour tous. On objectera que ceux qui refusent le vaccin aujourd’hui ne sont pas ceux qui le réclamaient hier. Mais une étude réalisée en France début septembre confirme l’aggravation de la tendance.
Les risques liés aux effets secondaires sont la principale raison invoquée. Il est exact que tout mode de soin efficace peut avoir des effets indésirables. Les Grecs l’avaient bien compris, eux qui appelaient du même mot, pharmakon, et le médicament et le poison. Mais les risques de la vaccination sont sans commune mesure avec les risques de la maladie elle-même. Sans compter que la vaccination ne protège pas seulement celui qui se fait vacciner : elle permet d’atteindre la fameuse « immunité collective » sans qu’il soit nécessaire qu’un nombre important de personnes contractent la maladie. On l’a oublié, mais c’est la vaccination qui a permis d’éradiquer la variole en 1980, grâce à une campagne lancée par l’OMS dès la fin des années 1950. A contrario, la désaffection pour la vaccination contre la rougeole est à l’origine de la reprise de l’épidémie et des décès afférents. Bien sûr, il est important que les essais cliniques avant la mise sur le marché et le suivi pharmacologique ensuite permettent de bien identifier les éventuels effets indésirables. Et il est également vrai que certaines erreurs du passé dans ce domaine ont écorné la confiance dans les autorités sanitaires, pour qui il devient indispensable de retrouver ce crédit perdu.
Mais l’inquiétude quant aux effets secondaires n’est pas très supérieure en France à ce qu’elle est ailleurs. Ce qui caractérise la situation française dans la réticence ou le refus à l’égard du vaccin, c’est la part de ceux qui y sont désormais opposés « par principe ». Cette position caractérise un quart des opposants – c’est le taux le plus élevé au niveau mondial après celui des Russes et des Italiens. Ce mouvement « antivax », qui touche y compris des soignants, va bien au-delà d’une simple méfiance et utilise toute la palette des procédés souvent contradictoires des théories complotistes. Au cœur du soi-disant documentaire à succès Hold-Up, on trouve ce fameux « mille-feuille argumentatif ». Tout y passe, et notamment un complot prétendument organisé par l’industrie pharmaceutique et une nouvelle conspiration des milliardaires. De ce point de vue, la communication financière de Pfizer – le laboratoire qui annonce sa capacité à mettre un vaccin efficace sur le marché dans les prochaines semaines – n’est pas seulement indécente, mais aussi désastreuse dans la mesure où elle donne du crédit à ces théories complotistes.
Mais il y a également, dans le rejet de la vaccination, l’idée que celle-ci est en quelque sorte contre-nature, qu’elle viendrait transgresser une sorte d’ordre naturel, en intervenant artificiellement sur les mécanismes microbiologiques. C’est oublier que les mécanismes d’immunisation sont eux-mêmes le résultat de l’évolution. Qu’il s’agisse de Jenner utilisant la vaccine – la maladie bovine – contre la variole – la maladie humaine – ou de Pasteur mettant au point des vaccins contre bien d’autres maladies, les deux savants n’ont fait que trouver un moyen d’activer ce mécanisme dit « naturel ». Ce rejet-là s’appuie sur une vision magique de la nature portée par une partie du mouvement écologiste. De ce point de vue, il faut saluer le courage politique d’un Yannick Jadot demandant que la vaccination contre le Covid soit rendue obligatoire.
Il ne sera peut-être pas nécessaire d’aller jusque-là, mais il est important de convaincre nos concitoyens. Se faire vacciner, c’est bien sûr se protéger, mais c’est aussi protéger les autres et sortir de ces alternances de couvre-feux et de confinements et de leurs effets délétères sur la vie en société.
Daniel Lenoir (http://www.daniel-lenoir.fr)