Il y aura bientôt trois ans, Nathan Law a été condamné à plusieurs mois de prison pour son rôle dans le mouvement des parapluies, un mouvement prodémocratique de Hong Kong. Mais, à l’époque, même derrière les barreaux, le jeune homme de 24 ans n’aurait jamais imaginé devoir un jour quitter sa ville natale. La décision de Pékin d’imposer sans délai – et au mépris du traité de rétrocession signé en 1984 avec le Royaume-Uni – une loi de sécurité nationale criminalisant toutes les formes d’opposition au régime communiste l’a obligé en une nuit à peine à changer d’avis. Quelques heures après avoir témoigné via Internet devant le Congrès américain, le fondateur du mouvement localiste Demosistō a quitté Hong Kong discrètement pour trouver refuge dans un pays inconnu.
La Chine n’a pas traîné pour mettre en musique sa répression du mouvement démocratique. Immédiatement après le vote de cette loi mardi dernier, une force de police spéciale composée de 3 000 à 4 000 hommes des services secrets chinois prenait position à Hong Kong sous les ordres d’un hiérarque du régime, sorte de vice-consul de Hong Kong, Zheng Yanxiong. L’homme est connu pour avoir maté nombre de révoltes populaires dans la région du Guangdong, au sud de la Chine. Il parle le dialecte cantonais, en usage à Hong Kong, mais il incarne surtout l’aile dure du régime, faisant craindre le pire aux jeunes démocrates.
« Je n’aurai jamais pensé me retrouver dans cette situation et devoir fuir Hong Kong », a expliqué Nathan Law à plusieurs médias britanniques sans oser révéler sa nouvelle terre d’accueil. « La Chine veut utiliser cette loi pour nous empêcher de nous exprimer librement. »
La peur, voilà ce qui domine aujourd’hui à Hong Kong. Comme nombre de dissidents chinois – tel Ai Weiwei, parti pour l’Europe –, voilà donc les figures du mouvement prodémocratie de Hong Kong contraintes à leur tour à l’exil. Le parti de Nathan Law s’est dissous jeudi 2 juillet, et seul Joshua Wong, l’autre figure de proue du mouvement, continue la lutte, au risque de disparaître un jour dans les geôles du régime communiste.
« Cette nouvelle force de police chinoise sera placée au-dessus de la police de Hong Kong, la loi précise que ces agents ne pourront pas être contrôlés ni interrogés par les agents de Hong Kong, explique Malcolm Riddell, auteur de la lettre d’information China Macro Reporter. En clair, ils sont intouchables, c’est du niveau de la Gestapo. Ils vont travailler à Hong Kong selon leurs propres règles et dans leur bulle. C’est juste incroyable. » « Si vous avez déjà écrit ou dit quelque chose contre la Chine ou qui pourrait offenser le parti communiste chinois, alors restez en dehors de Hong Kong », conseille Donald C. Clarke, professeur américain spécialisé en droit chinois.
Selon ce texte à l’origine de toutes les peurs, la subversion, le terrorisme, le séparatisme et la collusion avec des forces étrangères peuvent valoir l’extradition des suspects et leur procès en Chine continentale, avec des peines pouvant aller jusqu’à la prison à vie. Soixante-six articles au total s’attaquent ainsi à tous les problèmes de sécurité à Hong Kong, mettant de facto un terme au principe « un pays, deux systèmes ». La loi s’applique aussi bien aux citoyens de Hong Kong qu’aux étrangers, aux expatriés et aux multinationales. La liberté religieuse, même si elle n’est pas directement mentionnée dans ce texte, risque également de souffrir.
Avec vingt-sept ans d’avance sur ce que prévoyait l’accord de rétrocession, la Chine passe donc en force et signe l’arrêt de mort de cette ville de 7 millions et demi d’habitants, longtemps considérée comme sa vitrine pour sa prospérité exceptionnelle, sa justice indépendante et sa liberté d’expression.
Les opposants sont sonnés mais toujours mobilisés. Si les partis localistes se sont sabordés pour protéger leur mouvement, entrant dans une forme de clandestinité, dans les rues la tension reste palpable. Jouant au chat et à la souris avec la police, de jeunes manifestants vêtus de noir ont tenté ces derniers jours de raviver la flamme qui, l’an dernier à la même époque, avait vu descendre deux millions de personnes dans les rues de Hong Kong. Mais en vain pour l’instant.
En 1997, au moment de la rétrocession, les Occidentaux ont eu la naïveté de croire que le succès économique de Hong Kong pourrait convertir la Chine à un modèle démocratique ou du moins semi-démocratique. Ce n’est pas le cas, et Hong Kong est sur le point de disparaître, absorbée par le régime communiste.
Londres promet des passeports aux Hongkongais et le Canada et l’Australie sont prêts à les accueillir. Les États-Unis choisissent l’arme économique et pourraient mettre un terme aux accords commerciaux particuliers signés avec Hong Kong. Le contraste avec l’attitude de l’Union européenne est saisissant. Celle-ci se contente en effet de condamner sans prendre de sanction, à l’exception notable de la Suède, bien seule parmi les vingt-sept à oser se dresser devant la Chine toute puissante.
Sébastien Le Belzic, à Pékin.
Photo : renfeng tang (CC BY-SA 2.0)