L’été, la montagne attire peu de monde, la masse des touristes préférant la mer. Les stations en profitent pour construire et aménager tous azimuts. La loi Montagne ne peut pas grand-chose pour limiter les excès, regrette Christophe Roulier, l’un des responsables de France nature environnement pour la région Auvergne-Rhône-Alpes. « Les élus de montagne sont intervenus pour que les décrets d’application leur laissent des marges de manœuvre importantes. Ils ont réussi à évacuer la notion d’espace vierge pour construire et ouvrir des pistes quasiment où bon leur semble. » Conséquence, les associations ne peuvent se contenter d’invoquer la protection des paysages et le refus du gigantisme pour s’opposer aux dérives des aménageurs. Pour se faire entendre des tribunaux, elles doivent prouver qu’une espèce animale ou végétale protégée vit sur le site concerné.
D’où cette frénésie de bétonnage qui se poursuit l’été dans les grandes stations comme Méribel. Du centre du village, on emprunte un chemin qui mène vers les hauteurs pour échapper au bruit des chantiers et profiter du paysage. Hélas, aux remontées mécaniques s’ajoutent désormais les canons à neige, toujours plus nombreux : encapuchonnés dans des matelas en plastique orange fluorescent, ils jalonnent désormais été comme hiver les flancs de la montagne. La prolifération des retenues collinaires alimentant les canons à neige n’arrange rien : invisibles l’hiver, ces bassins entourés de grillage, bétonnés sur les bords et bardés d’interdiction de se baigner n’ont rien de pittoresques lacs alpestres.
Un semi-remorque passe sur la route forestière transportant un bulldozer qui part reprofiler une piste. Pour dissimuler les dégâts occasionnés, les stations doivent recourir à l’engazonnement artificiel pour recouvrir la terre et la roche mise à nu, mais la diversité de la flore s’en ressent.
Qu’importe si le bruit et l’incongruité de ces grandes manœuvres font fuir le randonneur, il ne rapporte pas grand-chose. Beaucoup moins en tout cas que le vélo, de préférence électrique, censé constituer un relais de croissance à la neige. Les stations voient là l’occasion d’exploiter les remontées mécaniques l’été et de louer de coûteux équipements. Pour attirer les vététistes qui tiennent à leur dose d’adrénaline, on creuse donc à flanc de montagne de nouveaux chemins qui se dévalent à toute vitesse, dotés de tremplins agrémentés d’oriflammes publicitaires. On est loin du vélo à la papa : ces vététistes casqués, gantés et caparaçonnés – et parfois porteurs d’une minicaméra filmant leurs exploits – ressemblent plus à des motards qu’à des cyclistes. Avec leur équipement de protection digne d’un CRS, ils peuvent prendre tous les risques, quitte à aggraver le ravinement des chemins et à poser un problème de cohabitation entre usagers.
L’amour du vélo n’ayant pas de limites, on va jusqu’à bituminer des chemins de montagne pour protéger ces derniers des passages répétés et donner plus de confort aux cyclistes. La réalisation la plus visible est celle qui relie Méribel et Megève par le col de la Loze. C’était, paraît-il, nécessaire pour faire venir le Tour de France et offrir à ces deux stations leur quart d’heure de célébrité mondiale télévisée. Tant pis pour le paysage, mais on peut toujours fermer les yeux en respirant l’air pur. Hélas, une odeur de goudron ramollie par la chaleur chatouille désormais les narines des promeneurs… « Cette voie passe pourtant par une forêt classée pour sa faune et sa flore », s’indigne Ségolène, une habituée de la station. Chez les autochtones, les avis divergent. « Chaque année on se prend un coup sur la tête », se désole un retraité du cru, qui tient à garder l’anonymat. Minoritaires, les voix dissonantes n’osent guère protester publiquement face aux grandes familles qui tiennent les stations. Durs à la tâche, les Savoyards enrichis en trois générations refusent toute remise en cause du modèle intensif qui a fait leur fortune. « Ici, on aime l’environnement tant que ça n’empêche pas de faire de l’argent », résume crûment le concierge d’une résidence.
Grâce à ces nouvelles activités estivales, les grandes stations alpines (Méribel, Courchevel, Tignes, Val-d’Isère, Alpe d’Huez…) espèrent regagner le chiffre d’affaires qu’elles vont perdre avec le raccourcissement de la saison hivernale. Le pari n’est pas insensé car, avec la plus grande fréquence des canicules, davantage de vacanciers voudront gagner les hauteurs. Et, pour leur faire dépenser le plus possible l’été, les responsables de ces stations comptent bien poursuivre la transformation de la montagne en parc à thème saturé d’équipements. Dire qu’il y a quelques années Méribel se vantait d’être « Very Belle » dans ses brochures. Mais voilà, la station a abandonné ce slogan…
Frédéric Brillet
Photo : Leo-setä (CC BY 2.0)