Le 18 juin n’est pas tout à fait un jour ordinaire pour nous Français. Il se pare d’une certaine fierté, d’un parfum d’espoir et paradoxalement d’une forme de légèreté. Celle que procure la rassurante certitude que notre histoire hexagonale fut aussi, quand même, un peu… beaucoup… du bon côté de la grande histoire. Mythifié, l’acte du général de Gaulle couvre opportunément de son ombre déformante le tragique printemps de 1940, ainsi que la sombre aventure vichyssoise. Pourtant, dans un pays qui cultive tant les dates anniversaires et les jours fériés, il reste étonnant que le 18 juin reste officiellement… un jour ordinaire. Comme si, pour appartenir vraiment à tous, cette « date de rébellion » se devait de rester rebelle aux faveurs calendaires. Que dire de cette alchimie qui nous est laissée en partage ? Qu’elle distille une bonne dose d’insubordination, avec ce « Moi, général de Gaulle », en rupture de ban avec l’autorité, déjà une « certaine idée de la France », dont la version « pour les nuls » sera popularisée après-guerre par le génial Goscinny et son village gaulois d’Astérix, et enfin, last but not least, une disruption intellectuelle inattendue pour ce militaire, lecteur de L’Action française, expliquant depuis Londres que la victoire ne viendra ni des faveurs de Jeanne d’Arc, ni du génie national, mais bien de facteurs techniques et industriels liés aux forces géopolitiques du monde, fussent-elles pour la plupart anglo-saxonnes…
Si le 18 juin demeure depuis quatre-vingts ans rebelle au marbre de nos jours fériés, il y va pour beaucoup de l’éparpillement au cours du temps de l’ADN des origines. Il y a l’épineuse question de la réconciliation entre l’homme du 18 juin 1940 et celui de mai 1958, avec un atterrissage douloureux dans la glaise politique nationale, jusqu’aux « courts-circuits » de Mai 68. Un éparpillement mémoriel que l’historien Michel Winock, explique ainsi : « Pour la droite, il représente l’autorité de l’État, le fondateur d’une république stable, c’est un monarque républicain. Pour la gauche, c’est le résistant, le réformateur de la Libération ou le décolonisateur. » Un 18 juin décidément rebelle quand il échappe visiblement à Christian Jacob, dépositaire légal des derniers feux du gaullisme, soupçonnant Emmanuel Macron de récupération politique et assurant sans convaincre : « De Gaulle est incontestablement la référence, l’ADN de notre famille. » Un 18 juin que Marine Le Pen voudrait même s’approprier en allant à la pêche aux voix du côté de l’île de Sein…
In fine, de ce 18 juin rebelle, Témoignage chrétien n’aurait-il pas choisi la meilleure part quand Maurice Schumann, porte-parole de la France libre, qualifiait Pierre Chaillet, son fondateur, de « symbole du 18 juin spirituel de la Résistance » ? Un « 18 juin spirituel » qui, plus de soixante-quinze ans plus tard, fondait encore notre choix de refuser la neutralité coupable de l’épiscopat français face au duel présidentiel entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron…
Henri Lastenouse
Illustration : Charles de Gaulle au micro de la BBC, mais la photo est postérieure au 18 juin 1940 car il n’existe ni cliché, ni enregistrement de cet appel.