Jean, pharmacien à Strasbourg
Ça n’a pas été simple… Vous savez que la région a été particulièrement touchée par la pandémie. J’ai des collègues qui ont été malades. De nombreux médecins ont également été touchés. Moi-même, j’ai été contaminé. Nous n’avions pas de masques au départ… Les trois premiers jours du confinement, ça a été très chargé. Les gens se sont rués dans les pharmacies pour se procurer des masques, des protections, mais on n’avait pas de quoi fournir. On a aussi eu un regain de travail parce que, les médecins étant malades, on a fait des renouvellements d’ordonnance. On a même mis en place un accueil pour les femmes battues. Ce qui m’a le plus frappé, je l’avoue, c’est la multiplication des missions et des injonctions, qui variaient d’un jour sur l’autre. Nous avons dû distribuer au personnel soignant des masques sur le stock de l’État. Soit. Mais au début, c’était cinq, puis on est passés à huit pour telle ou telle catégorie de personnel pendant que pour une autre cela changeait aussi. On comptait, on recomptait, on remplissait des formulaires, des listings. Un jour c’était l’État qui nous livrait via l’ARS, le lendemain un livreur que l’on ne connaissait pas, le surlendemain, la région, parce que l’État n’avait pas assez de masques. C’était très désordonné. Rien n’était figé, si ce n’est notre obligation de distribuer ces masques, ce qui était bien naturel, et celle de tenir un compte extrêmement précis de ce que l’on distribuait. Évidemment, c’est une activité bénévole qui venait en plus de notre travail quotidien. Il y avait le même flou généralisé pour le gel hydroalcoolique. Quant aux masques que l’on devait ou pouvait vendre, le flou a été très bien organisé par l’Ordre, les syndicats et le ministère de la Santé. Selon le décret du 23 mars, on pouvait importer et vendre des masques de tous types en dessous de 5 millions d’unités. Mais on nous a fait croire que ce n’était pas vrai. Ce que l’on ne pouvait évidemment pas vendre, ce sont les masques du stock de l’État… Bref, on a pris du retard dans les commandes, on n’a pas pu fournir tout le monde et, aujourd’hui, on arrive tellement tard, y compris après la grande distribution. Au fond, ce n’est pas grave si les gens parviennent à se fournir au supermarché. Je dis à mes patients de revenir après pour que je leur explique comment les mettre. Mais on a perdu un mois. Ce confinement, finalement, cela a été épuisant. Notre chiffre d’affaires a baissé, entre 20 et 50 % selon les officines. Les consignes qui changeaient tout le temps, c’est très perturbant. Je suis crevé sur un plan psychologique. C’est étrange. Maintenant, on va voir ce qui se passe. Depuis quelques jours, les gens reviennent en masse pour se fournir en masques à nouveau. J’ai une queue de dix personnes dehors. Et les gens ne sont pas toujours très prudents…
Propos recueillis par Antoine Champagne.
Élisabeth, caissière et déléguée du personnel chez un franchisé
Dès les premières alertes sur le coronavirus, j’ai affiché un mot en salle de pause pour inviter mes collègues à éviter bises et poignées de main. J’ai prévenu le directeur de la gravité de la situation. Il ne m’a pas prise au sérieux. À l’annonce du confinement, on a seulement mis gants et gel à notre disposition. Il a fallu attendre huit jours pour l’installation de panneaux de plexiglas devant les caisses. Quant aux masques, on n’en porte que depuis le 20 avril ; « ridicule » selon la direction, qui considérait que c’était réservé aux personnes malades ou fragiles et aux soignants. Les visières de protection en plastique ne sont arrivées que la semaine dernière. Il a fallu que je trouve moi-même le numéro de l’association qui les fabrique bénévolement et que je le donne au patron. Quand les gendarmes sont venus pour l’informer qu’il y avait trop de monde dans le magasin, il leur a demandé de présenter le texte officiel qui l’obligeait à limiter l’accès. Il a fallu attendre l’arrêté du préfet pour afficher des consignes à l’entrée. Au début, je me disais que, dans un département peu touché et avec le maximum de précautions, on était à l’abri. Les clients faisaient preuve de vigilance. Ils nous remerciaient d’être là. Mais mes collègues ont été de plus en plus inquiètes. Certaines ont pris des congés. D’autres viennent travailler mais sont angoissées. Ça a fini par gagner toute l’équipe. Chaque soir, beaucoup se déshabillent dans leur garage, se douchent et lavent leurs vêtements. Moi je ne rends plus visite à mes parents, dont je m’occupe habituellement, tellement j’ai peur de leur transmettre la maladie. On engueule les clients qui touchent à tout. On leur dit de respecter les distances ou de venir avec des masques. Mais beaucoup n’en ont rien à faire de nous protéger. Certains passent quatre fois par jour en caisse ! Et, en plus, on sert d’éponges à leurs inquiétudes. Aujourd’hui, il n’y a plus de reconnaissance. Les gens trouvent normal qu’on soit là. Ça râle parce que les prix augmentent, alors que c’est faux ! On entend de nouveau des gens dire à leurs enfants : « Regarde, si tu ne travailles pas, tu seras comme la dame. »
Quand Carrefour a annoncé une prime de 1 000 euros pour chaque salarié, on savait qu’on ne toucherait rien. Comme beaucoup, notre magasin est une franchise. Le patron fait ce qu’il veut. Quand je lui ai demandé s’il y aurait un geste à notre égard – on aurait pu faire valoir notre droit de retrait mais on sait toutes que les gens ont besoin de manger –, il m’a répondu qu’il appréciait mais que, les chiffres étant mauvais, on verrait en septembre. On n’a jamais autant vendu d’électroménager qu’en ce moment ! La perspective du déconfinement nous inquiète. Dans une station balnéaire comme la nôtre, les gens sont nombreux durant les week-ends et les vacances. La direction a annoncé qu’elle n’embaucherait aucun saisonnier. Nos congés vont être remis en cause. On va en baver encore plus que d’habitude ! Les clients vont se lâcher, les risques vont se multiplier et le reconfinement sera décrété. Certaines collègues ignorent comment elles vont gérer la question du retour à l’école.
Propos recueillis par Yves Deloison.
Mohammed, chauffeur livreur pour un sous-traitant d’UPS
Je suis tombé malade le 20 mars. Je pense que je sais de qui j’ai attrapé le coronavirus. Une livraison à Saint-Cloud. On n’avait pas encore toutes les protections nécessaires. Ça a été très dur. Une fièvre très forte m’a cloué au lit. Je prenais du Doliprane. Je n’ai pas été testé, bien sûr, mais je sais que je n’ai pas pu reprendre le travail avant le 15 avril. On est plusieurs à avoir été malades. Mais on n’en parle pas trop entre nous. Je n’ai pas déclaré ça comme une maladie à mon employeur. Je ne veux pas d’ennuis. Je travaille pour un sous-traitant d’UPS. C’est dur. Les gens ont commandé beaucoup plus de choses pendant le confinement qu’en temps normal. C’est simple : avant, je faisais à peu près soixante-dix clients par jour. Allez, quatre-vingt-dix les jours chargés. Pendant le confinement, on est montés à cent vingt, cent trente clients pour certains de mes collègues. Les gens commandaient n’importe quoi. De la peinture, des baskets, des vêtements… Ils auraient très bien pu reporter. Je comprends que les gens commandent des choses importantes, de première nécessité, qu’ils ne trouvent pas dans les magasins. Mais des choses inutiles… Pour nous, c’est un souci. Même si on essaye de ne plus livrer en mains propres, en allant au contact des clients, on croise bien sûr beaucoup plus de monde avec ce surcroît de boulot. Et on a un seul masque par jour. Ça va mieux sur ce plan. Il y a eu des moments où l’on devait se fournir nous-mêmes. C’est beaucoup de risques pour nous. En étant sous-traitant, c’est un peu différent qu’en étant livreur UPS en direct. On fait plus de livraisons, on est payés au forfait, je veux dire que nos journées font dix heures. C’est simple, j’arrive à 7 heures au dépôt, j’en repars à 19 heures. Il n’y a pas d’heures supplémentaires. Pas de prime de risque non plus. Pour que l’on ait une prime, il faudrait que UPS paye plus notre entreprise… On a entendu parler d’une éventuelle prime pour le 15 de ce mois-ci, mais on attend de voir, ce sont des rumeurs. On a eu 100 ou 200 euros en plus, comme ça, pour l’augmentation du rythme de livraisons. Mais c’est tout. En revanche, on nous demande de venir faire une sixième journée par semaine le samedi pour le moment du déconfinement, le patron anticipe un regain de travail… Pour moi, le confinement, cela n’a pas été de tout repos. Entre la maladie et le travail supplémentaire… Finalement, la reprise, si ça se trouve, ça va être un retour à la normale, avec moins de travail. Tout l’inverse des clients que j’ai livrés pendant cette période.
Propos recueillis par Antoine Champagne.
Dominique Fontaine, prêtre de la Mission de France et curé de la paroisse Notre-Dame-du-Val à Bussy-Saint-Georges, Seine-et-Marne
Le confinement a commencé pour moi par l’effacement progressif de tout ce qui figurait dans mon agenda ; un agenda vidé, je n’avais jamais connu ça. Nous avions laissé l’église ouverte et très vite des soignantes sont venues y prier au retour de leurs nuits de travail, pour se ressourcer. En parlant avec elles, j’ai senti la grande souffrance des malades : ne pas pouvoir respirer, pour moi c’est le pire. Je n’arrivais plus à dormir. J’ai vécu cela en communion avec tous ces malades de l’hôpital tout proche. Cela a donné d’autant plus de sens aux applaudissements quotidiens pour les soignants.
Je ne me voyais pas célébrer la messe sans fidèles, cela ne m’était jamais arrivé. Mais, avec Michel, l’autre prêtre de notre équipe, nous avons décidé finalement de la célébrer chaque jour tous les deux, en relayant les intentions nombreuses qui nous étaient confiées par tant de gens.
Un paroissien professionnel dans l’audiovisuel et un ami journaliste nous ont proposé de lancer des célébrations sur YouTube. Nous avons inventé des façons interactives de vivre la liturgie : en commençant la veillée pascale près du lac attenant à l’église avec le texte de la création, en invitant les paroissiens le matin de Pâques à fleurir une croix de leur maison avec de modestes fleurs des champs, symboles des humbles travailleurs qui nous permettent de continuer à vivre malgré le confinement.
Les parents du catéchisme, qui voulaient poursuivre leur mission, ont organisé des visioconférences passionnantes. Mères et grands-mères se sont lancées dans la confection de blouses et de masques pour les centres de soins des environs.
Puis les enterrements se sont multipliés. Avec l’équipe funérailles, nous avons accordé la priorité à ces célébrations, d’une grande ferveur malgré le nombre restreint des participants.
Mes journées ont été bien remplies aussi avec les bénévoles du Secours catholique, qui ont été admirables d’ingéniosité et de délicatesse pour garder le contact avec les familles, leur apporter des chèques-alimentation ou les aider dans des démarches rendues plus compliquées par le confinement. Une collaboration avec la mosquée s’est développée dès le début du ramadan et nous avons programmé avec les autres confessions des temps de prière à des horaires communs.
Finalement, le confinement aura été pour moi le temps de discerner un peu plus le mystérieux travail de l’Esprit de Dieu dans les profondeurs de nos vies et de nos sociétés. Et la paroisse est restée bien vivante, comme le montre notre page Facebook ou notre site notredameduval.fr.
Propos recueillis par Jacques Duplessy.
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