Aujourd’hui, que sait-on et que ne sait-on pas sur le coronavirus SARS-CoV-2* ?
Pour un virus qui a émergé il y a moins de quatre mois, on sait déjà énormément de choses. On a identifié sa structure. On connaît aussi son origine ; on sait qu’il a une parenté génétique avec un coronavirus qui infecte une chauve-souris. On sait quelle est sa taille, un peu plus de 100 nanomètres. On sait plutôt bien combien de temps il survit sur différentes surfaces – quelques heures sur des surfaces sèches. On sait que la contagion se fait par interaction humaine. Il faut souligner que ce sont des connaissances essentielles, obtenues rapidement grâce à la communauté scientifique mondiale. Mais il reste des interrogations importantes pour l’avenir. On soupçonne aujourd’hui une transmission par aérosol, c’est-à-dire pas seulement par les gouttelettes émises lors d’une conversation. Si c’est le cas, cela aura des implications sur les précautions à prendre. On sait que les personnes infectées produisent des anticorps protecteurs, mais on ne sait pas combien de temps dure cette protection, ce qui mettrait en cause l’« immunité collective » espérée par certains spécialistes. On ne sait pas non plus si la chaleur est favorable ou défavorable à la contagion. Et, pour finir, on ne sait pas quel est le potentiel de mutation du virus. Pour l’heure, il semble assez stable. En passant, la question de l’efficacité du port du masque reste discutée au vu des données disponibles. Avec masque, sans doute le risque de contagion n’est-il pas nul mais diminué.
Ces incertitudes ne nous rendent-elles pas un peu impuissants ?
On en sait suffisamment pour faire beaucoup de choses, beaucoup de choses que, de mon point de vue, on ne fait pas. D’abord, je reste convaincu que les citoyens et citoyennes sont des personnes adultes responsables et qu’ils sont capables de comprendre même ce qui est compliqué, y compris les incertitudes. Cela étant dit, je suis critique sur la situation parce que je crois que nous sommes en train de perdre du temps.
Que faut-il faire ?
Si on reste dans le vocabulaire de la guerre, il faut qu’on sache qui dirige cette lutte contre l’épidémie, qui est le chef de guerre. Le Président ne peut pas tout, il ne peut pas tout décider, tout surveiller. Il faut un chef, un état-major, un système administratif qui se mette lui aussi en ordre de bataille, et des informations fiables. Par exemple, aujourd’hui, on ne sait pas comment ont été infectés les nouveaux malades. Nous sommes confinés depuis quatre semaines. Les infectés d’aujourd’hui, où l’ont-ils attrapé ? Il y a un total et terrible hiatus entre les efforts qui sont consentis pour les soins – immenses –, et ceux qui sont dédiés à la prévention. Il faut continuer à faire des questionnaires sur les contacts de ceux qui sont touchés, pas sur tous et toutes mais sur des échantillons de population. On en a les moyens. Nous avons des attachés de recherche clinique qui se tournent les pouces. Ce sont des techniciens et techniciennes (bac+3) qui ne sont pas des soignants. On ne les prélèverait pas sur le système de soins. Dans le même esprit, on ne sait pas combien de Français ont été infectés – ou pensent l’avoir été, ont eu des symptômes, ont appelé leur médecin. Or, nous avons des instituts de sondages qui ne demanderaient pas mieux que de faire ce travail. On pourrait savoir beaucoup de choses par le biais de sondages sur les comportements des gens ; et sans se mettre à « tracker » la population avec les téléphones. On aurait des éléments factuels pour envisager de sortir du confinement. Et il y a urgence, parce que des gens souffrent terriblement.
On vous sent très en colère.
Je le suis. Je ne sais pas ce que le président de la République va dire, mais pour rester dans la métaphore de la guerre, j’ai le sentiment que nous allons vers une guerre de tranchées, nous nous enterrons, nous nous défendons ; mais nous ne combattons pas. Or, dans les tranchées, nous perdrons face à ce virus. Nous aurons et les morts et le désastre économique et social. Pourtant, je suis certain que nous sommes capables de le battre. Non pas d’atténuer mais de casser l’épidémie. Et, pour cela, je me répète, il faut un ou une chef de guerre qui ait les pleins pouvoirs – comme Clemenceau en 1917 – et qui fasse plier les résistances administratives.
Propos recueillis par Christine Pedotti.
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