La liberté la plus simple, bien sûr, est celle qui demande le moins de réflexion ; quitter notre logis pour musarder dehors et humer l’herbe nouvelle ou la pollution urbaine. Mais il y a aussi toutes les traditions gauloises qui y sont liées, comme le droit de manifester : quelques gilets jaunes retardataires s’y sont encore essayés un dernier samedi, mais ils n’étaient plus qu’un relief de mousses paresseusement charriées par la vague descendante. Un an de furieux conflits sociaux ininterrompus, de gaz, de grenades et de conférences de financement pour déboucher… sur des rues vides !
Le droit à la vie
C’est que l’un de nos droits le plus absolu, plus impérieux que chacune de nos petites manies se jette férocement en travers de notre chemin : le droit à la vie. Le Conseil d’État a été saisi du décret imposant le confinement par le syndicat Jeunes Médecins. Était-ce pour en modérer les excès ? Que nenni ! Pour le renforcer, là où notre gouvernement incurablement libertaire hésitait encore devant les mesures à prendre. Ainsi, le 22 mars, le Conseil d’État s’est-il reconnu compétent pour protéger le droit à la vie des citoyens contre la carence de l’État. Il n’a cependant pas jugé bon d’ordonner l’interdiction totale de sortir de son lieu de confinement sauf autorisation délivrée par un médecin pour motif médical. Il a en revanche appelé le gouvernement à « préciser » les motifs de sortie médicale ou sportive, ainsi que la situation relative aux marchés (c)ouverts.
Passé la première sidération qui nous a tous saisis, il est bon de se reposer quelques questions pour trouver une juste mesure sans embarrasser les autorités dans leur tâche difficile. On se souvient qu’Olivier Véran, pour sa première interview de jeune ministre de la santé, s’interrogeait rêveusement sur la capacité de la Chine à maîtriser le virus : « Je ne suis pas sûr que ce serait possible de réaliser tout cela dans un pays dans lequel les réseaux sociaux seraient ouverts. » Peut-on arrêter une épidémie en conservant notre liberté de parole ? On l’espère bien. Et la Corée du Sud l’a démontré dans les semaines qui ont suivi.
Comme le rappelle le Conseil d’État, nous sommes confiné·e·s faute de masques et de tests. La plupart des pays d’Asie n’ont pas eu besoin d’enfermer toute leur population. Nos libertés fondamentales ne sont ainsi amputées que du fait d’une bête pénurie !
Permis de sortie
En attendant, on confine, et nos vaillants policiers vont par les rues importuner les passants. Certains le font à regret et du mieux qu’ils peuvent. D’autres, le torse bombé, armés des ressources de chicane de l’administration française. Quelle trouvaille que ce permis de sortie ! Il change chaque jour avec les douces nuances des nuages de fin de pluie. Faut-il l’écrire entièrement à la main ou seulement le motif idoine ? L’a-t-on bien horodaté ? Les histoires kafkaïennes se multiplient et ce qui n’était qu’un dispositif pédagogique devient l’instrument délicieux d’un arbitraire pervers. Même courtoise, la rencontre avec les forces de l’ordre donne désormais lieu à des échanges volontiers humiliants : où allez-vous ? Pourquoi ? Est-ce vraiment nécessaire ? Est-ce la première fois de la semaine que vous faites les courses ? Avez-vous des raisons médicales de manger frais ? Rien de neuf là-dedans et nulle dérive ou invention de la police : il ne s’agit là que de l’expérience quotidienne des quartiers populaires et de l’extension du rituel du « Papiers ! »
Et, sortis du confinement, c’est alors une autre question qui se poserait ou se posera : la liberté d’anonymat. Si le test à outrance permet de remonter la chaîne des contaminations, c’est en traçant nos déplacements via nos smartphones. Jusqu’où ? En vérité, nous ne le savons pas encore vraiment. En France, la police s’est entendue avec les opérateurs. Rien de personnel bien sûr ! Uniquement des données générales sur le déplacement de la population. Tout ceci remonte ensuite à la Commission européenne. Rien de personnel, répète-t-on, rien de neuf, on a l’habitude avec les terroristes.
Voici pour les évidences. Mais voyons nos libertés économiques : que dire de nos trente-cinq heures et de nos congés ? Nous voilà appelés à une glorieuse montée au front pour redresser la France sans que nous nous souvenions d’en avoir ne serait-ce que vaguement discuté. L’état d’urgence sanitaire permet tout ceci sans que le Parlement, le Conseil constitutionnel ou les partenaires sociaux s’en mêlent. Sommes-nous toujours bien dans une urgence vitale ? Rendons déjà grâce au Sénat, qui a limité cet état d’urgence à un mois au lieu d’un an. Bien loin de la Hongrie, où, pour un an, le Parlement est suspendu, le gouvernement a les pleins pouvoirs, et la diffusion de « fake news » est punie de cinq ans de prison.
Arthur Colin
Bonjour, c’est une vraie question celle des libertés. Surtout compte tenu des enjeux climatiques qui nous attendent et je doute beaucoup de notre auto capacité de régulation. Cela veut dire que nous aurons peut-être besoin d’avoir moins de libertés individuelles au profit du bénéfice commun. c’est un sacré sujet.
L’état d’urgence sanitaire est d’une durée de deux mois en France, soir du 24 mars au 24 mai 2020.
Voir l’article 4 de la loi : « Par dérogation aux dispositions de l’article L. 3131-13 du code de la santé publique, l’état d’urgence sanitaire est déclaré pour une durée de deux mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi. »
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041746313&dateTexte=20200402