Quelles sont les spécificités de la philanthropie française ?
La philanthropie peut prendre plusieurs formes : un don, un legs, la création d’une fondation… Créer une fondation, c’est ancrer sa démarche – mais aussi sa stratégie et ses dons – dans la durée. Par exemple, pour créer une fondation abritée par la Fondation de France, le philanthrope doit s’engager sur un minimum de 200 000 euros répartis sur 5 ans.
Le développement des fondations en France est récent. Dans les années 2000, on en comptait seulement 2000, contre plus de 4000 aujourd’hui. Les mentalités évoluent, le cadre juridique s’est précisé ces dix dernières années. Contrairement aux États-Unis, il n’existe pas de méga-fondations dont les actifs se comptent en milliards. Cela s’explique notamment par le fait que la pression fiscale globale est plus forte en France, mais pas seulement. L’éducation y est aussi sans doute pour quelque chose. Dans les pays anglo-saxons, la culture du don est enseignée aux enfants. Le don est un marqueur social, une valeur. C’est moins le cas en France.
Enfin, nos philanthropes sont aussi beaucoup plus discrets. L’argent reste un sujet dont on parle peu en France. Qui connaît aujourd’hui le nom des créateurs des plus grosses fondations françaises, comme la fondation Carasso pour l’alimentation durable par exemple ? Alors que la fondation de Bill Gates est connue de tous outre-Atlantique.
Quelles sont les motivations des philanthropes ?
Les profils des philanthropes sont très variés et leurs motivations diverses. Contrairement aux idées reçues, il ne s’agit pas nécessairement de milliardaires. Des créateurs de fondations se lancent parfois en réponse à un événement tragique, comme pour la Fondation Valentin Ribet, du nom d’un jeune homme qui faisait partie des victimes du Bataclan en novembre 2015. Sa famille a souhaité s’engager, en sa mémoire, pour l’éducation et la lutte contre l’illettrisme.
D’autres philanthropes, comme l’ingénieure Anne Bouverot à travers la Fondation Abeona, souhaitent mettre leurs compétences et leur expertise – l’intelligence artificielle en ce qui la concerne – au service d’une cause, ici l’égalité femmes-hommes. Il peut aussi s’agir d’un projet familial, comme dans le cas de la Fondation Lemarchand pour l’Équilibre entre les Hommes et la Terre, engagée pour le développement de pratiques écologiques et la promotion des bienfaits de la nature pour l’homme. D’autres encore ont par exemple été affectés par la maladie d’un proche et créent une fondation pour favoriser des travaux de recherche dans le domaine de la santé.
Ainsi, l’incitation via des déductions d’impôt encourage mais n’est pas l’unique moteur. Et on dépense toujours plus en faisant un don qu’en payant simplement ses impôts. Les règles de l’intérêt général – dont dépendent les déductions fiscales – sont un garde-fou. Le domaine s’est professionnalisé et la Fondation de France, qui accompagne plus de 850 fondations abritées, veille aussi à l’intérêt général.
Quelles sont les causes les plus investies ?
En France, ce sont les fondations sur la santé et la recherche médicale qui concentrent la plus grande part des budgets mais, en nombre de structures, la première cause qui mobilise les fondations est l’action sociale comme la lutte contre la pauvreté. Viennent ensuite les sujets d’éducation. La culture n’arrive qu’en quatrième position. La solidarité internationale est encore moins développée alors qu’elle mobilise un grand nombre de fondations en Allemagne. La philanthropie française se caractérise par son aspect social.
Depuis les années 2000, le don et le mécénat se développent et entrent dans les mœurs. La France avait pris du retard, mais elle est en train de le rattraper. On le voit à travers des initiatives comme le « Giving Tuesday », un jour dédié à la générosité le mardi qui suit le « Black Friday » et qui vient apporter une autre voie face à une logique purement consumériste.
Propos recueillis par Louise Gamichon
Les donateurs
Sur les 7,5 milliards d’euros de dons recensés par l’Observatoire de la philanthropie (dans son étude publiée en 2018), 61 % proviennent de particuliers et 60 % sont déduits (de l’impôt sur le revenu, de l’ex-impôt sur la fortune ou de l’impôt sur les sociétés). En moyenne, les Français donnent 460 euros par an. En ce qui concerne les dons déduits de l’impôt sur le revenu, proportionnellement, les donateurs les plus nombreux sont ceux qui gagnent entre 15 et 60 000 euros par an (80 %). Les 20 % restant sont certes moins nombreux, mais ils contribuent à eux seuls à 40 % du montant total des dons. Le nombre de foyers déclarant des dons sur cet impôt a progressé de 20 % depuis 2006, la contribution moyenne de 44 % et les demandes de déductions d’impôts de 70 %.
Si neuf dixièmes des donateurs ont 60 ans et plus, ces derniers restent proches des plafonds défiscalisés. Les moins de 30 ans sont deux fois plus nombreux à dépasser ces plafonds. Les entreprises mécènes réalisent 39 % du montant total des dons. En effet, en plus des 1,3 milliard de dons déduits de l’impôt sur les sociétés, l’Observatoire de la philanthropie estime à environ 1,6 milliard d’euros leurs contributions non déduites, soit un total de 2,9 milliards en provenance des entreprises.
Montant des dons
- Dons des particuliers : 2,62 milliards
- Dons déduits de l’ISF : 246 millions
- Dons des entreprises : 1,3 milliard avec déduction, 2,9 milliards environ au total
- Legs : 1 milliard
- Quêtes et offrandes (denier de l’Église) : 279,2 millions
- Crowdfunding : 50,8 millions
- Collectes populaires : 47,5 millions
- Dons en nature : 39,5 millions
- Partis politiques : 90 millions
- Produits de partage (par exemple, reverser une partie des bénéfices de la vente d’un produit) : 29 millions d’euros.
Le crownfunding
Le crowdfunding (levée de fonds via des particuliers) se pratique via des sites internet comme Ulule ou KissKissBankBank. Un objectif final est fixé, selon le principe du « quitte ou double » : soit l’intégralité de la somme est récoltée et l’argent est versé au destinataire, soit l’objectif n’est pas atteint et chaque contributeur est remboursé.
Selon les professionnels du crowdfunding, 30 % des cagnottes proviennent de l’entourage proche de ceux qui lèvent des fonds. Une fois que la cagnotte dépasse les 50 %, le taux de réussite des crowdfunding passe de 65 à 95 %. Un quart de ces dons sont destinés à la création d’entreprises.