Quelques dizaines de milliers de malades, quelques centaines de morts… On peut jouer les esprits forts, et souligner que la grippe saisonnière, le paludisme ou même les accidents de la route tuent bien plus sans soulever cet émoi mondial. On peut aussi, et il faut le faire, fustiger la bêtise de ceux et celles qui tremblent de croiser une personne d’origine asiatique ou qui ont fait des kilomètres pour trouver en pharmacie les derniers masques, au cas où.
Pour autant, ce virus fait resurgir en nous un tremblement venu du fond des âges, celui qui saisissait nos ancêtres devants les grandes épidémies, pestes et choléra, qui ont régulièrement ravagé le monde. La Grande Peste, ou peste noire, dévaste l’Europe de 1347 à 1353, tuant de 30 à 50 % de la population. Elle avait son origine dans la province d’Hubei, comme le coronavirus, et son taux de mortalité était supérieur à 60 %. Les épidémies se succèdent jusqu’à la terrible grippe dite espagnole de 1918-1919, qui tue au moins trente millions de personnes dans le monde, faisant plus de morts que le conflit mondial.
Comment s’étonner que nous gardions de ces fléaux une sorte de mémoire collective inconsciente et terrifiée ? Écoutons Camus dans les dernières lignes de La Peste : « Il savait que […] le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu’il peut rester pendant des dizaines d’années endormi dans les meubles et le linge, qu’il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs… ».
Dans notre inquiétude se loge sans doute aussi le sentiment confus que, d’une certaine façon, la Terre pourrait se « venger » du désordre que lui fait subir cette humanité qui est comme un virus qui la défigure, et tenter de s’en débarrasser. Prenons garde, la peur n’est pas une bonne conseillère et les épidémies, même si elles font surgir des héros et des saints, n’ont jamais révélé un visage très fraternel de l’humanité.
Christine Pedotti
La Grande Peste est concomitante de la Guerre de cent ans et la grippe espagnole fait suite à la grande boucherie de 1914-1918 où les nations européennes se sont suicidées. La guerre est la pire des pestes !