Pour la première fois, un sondage donne la réunification majoritaire en Irlande du Nord. Les jeunes y sont fortement favorables…
La disparition de la frontière irlandaise en 1998 suite aux accords du Vendredi saint a été rendue possible par l’appartenance des deux États concernés au marché unique européen, qui est garant de l’accord. Même territoire douanier, mêmes normes pour les produits et les services, même liberté de circulation pour les personnes. Il était aisé de lever la frontière. On devine immédiatement le problème que pose la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.
Parmi les multiples difficultés pratiques à traiter dans le Brexit, la frontière irlandaise est sans doute la plus terrible car le sang y est encore frais. Et la volonté britannique de reprendre le contrôle de ses frontières ne peut se faire sans une cassure en Irlande, ce qui est une remise en cause directe des accords du Vendredi saint.
Les deux derniers Premiers ministres anglais ont tenté de nier le problème à toute force, annonçant qu’ils ne contrôleraient pas cette frontière. Mais la seule frontière terrestre entre l’Union européenne et un autre pays ne peut être laissée sans surveillance, sauf à en faire la plus grande zone de contrebande mondiale. Le plan Yellowhammer des autorités britanniques en cas de Brexit sans accord est obligé de reconnaître que la situation serait intenable au bout d’un mois ou deux. Ils ont également brodé sur le thème d’une smart frontier, avec toutes sortes de technologies magnifiques permettant une gestion en temps réel des marchandises et des personnes sans qu’il soit besoin de les arrêter. Il ne reste plus qu’à créer les technologies en question !
Une autre solution, farouchement repoussée par les Britanniques, serait de conserver l’ensemble de l’île dans le marché unique, créant un différentialisme normatif et douanier en Irlande du Nord. Mais cela impliquerait que la frontière physique et les contrôles passent désormais entre l’Irlande et le pays de Galles, ce qui porterait quelque peu atteinte à l’unité du Royaume-Uni.
Aussi Theresa May a-t-elle fini par repousser ce problème insoluble à plus tard et à en faire cadeau à ses successeurs. Elle a proposé dans l’accord de sortie le mécanisme du Backstop, qui consiste à assurer qu’il n’y aura pas de frontière en Irlande, ou en tout cas pas sous une forme qui ne soit acceptée par tout le monde. Comment y parvenir ? On signe l’accord de sortie et, pour l’Irlande, on verra plus tard. Bien entendu on trouvera une solution ! Qui pourrait en douter ? Mais dans le cas improbable où on peinerait à la faire émerger après la fin de la période de transition en juillet 2020, est-ce que l’Irlande du Nord restera dans le marché commun, au moins pour les marchandises, si aucun accord n’est trouvé ?
Quelles conséquences ? Tant que la frontière n’est pas traitée de manière satisfaisante, les normes européennes continuent de s’appliquer en Irlande du Nord. Et si Londres est libre de signer des traités de commerce en ce qui concerne les services, ce n’est pas possible pour les biens.
Autrement dit, ce n’est la pleine souveraineté ni pour l’Irlande du Nord, dont les députés sont indispensables au gouvernement conservateur, ni surtout pour Londres ! Fureur des tenants du Brexit qui refusent l’accord et veulent imposer une renégociation, mais sans être en mesure de faire une proposition alternative.
Boris Johnson a proposé la semaine dernière de limiter cette sécurité aux normes phytosanitaires, c’est-à-dire à la nourriture. Il a suscité peu de réactions favorables en Europe ou à domicile. Une autre manière de repousser la question est de proposer aux institutions nord-irlandaises un droit de veto, et donc de se décharger sur elles de la responsabilité de trouver un consensus. Mais celles-ci ne se réunissent plus depuis 2017, à la suite d’une crise entre unionistes et séparatistes.
Tout ceci finit irriter les Irlandais, qui ne veulent pas d’une frontière. L’île est en voie de déchristianisation avancée, ce qui entraîne une disparition des vieilles haines religieuses. Pour la première fois, un sondage donne la réunification majoritaire en Irlande du Nord. Les jeunes y sont fortement favorables, et seuls les plus de 65 ans donnent encore leur préférence au Royaume-Uni. Certains, chez les unionistes, commencent à se dire qu’accepter une différenciation économique est peut-être leur seule chance à terme de rester britanniques.
Arthur Colin, Sauvons l’Europe.