Une bourgeoisie catholique va tenir les rênes et veiller au grain. Elle rêve d’une restauration, comme celle que ses aïeux ont réussie au XIXe siècle
« J’ai appris récemment qu’une communauté de religieuses épatantes, à une heure de la capitale, n’arrivait pas à trouver de confesseur. Désormais, c’est moi ! » Et il les visite à chaque fois qu’il arrive à Paris après un long périple en train depuis Périgueux, où il s’est installé en quittant le Poitou. La liste de ses publications s’allonge sans cesse. Après des études sur les ministères, il vient d’écrire sur la foi dans une société sécularisée. Déjà, dans La Chance d’un christianisme fragile*, il avait montré que l’Église ne devait pas redouter la modernité. Dans son dernier opus**, il explique à quelles conditions la vieille institution peut continuer à parler. Son maître-mot : la proximité. Avec les communautés paroissiales animées par un trio de laïcs instituées dans son diocèse, Albert Rouet fut avant-gardiste. Des dizaines de confrères évêques avaient alors visité dans le Poitou ce laboratoire pastoral unique. Sans lendemain. « Ils ont vu un modèle qui marchait, ils n’ont pas osé. Et aujourd’hui, on importe des prêtres », déplore le pionnier incompris, qui continue à défendre son modèle, martelant que « les grosses paroisses sont une erreur ». Ces structures épuisent les prêtres « qui passent leur temps en voiture ou à faire du culte. Ils n’ont plus le temps de préparer leurs homélies et de lire ». Albert Rouet appelle à renverser la perspective : ne plus penser en fonction du nombre de prêtres, mais des baptisés. « Comment veulent-ils vivre leur foi ? », voilà pour lui la question.
Observateur de ses successeurs évêques, il pourfend les sempiternelles visites pastorales. « C’est trop formel, tout est prévu, balaye-t-il. Les gens causent dans le cadre que d’autres ont fixé pour eux. » Lui préférait ses promenades impromptues, quand il chaussait ses bottes et traînait dans les fermes poitevines, histoire d’entendre une parole plus authentique. Et son visage s’illumine quand il cite le plus beau compliment entendu de la part d’une de ses ouailles : « Le Père Rouet, il n’est pas fier. » Pas du genre à arborer le col romain ou même la croix discrète au revers du veston. « Je mettrai ma croix quand les gens porteront leur feuille d’impôts. Doivent-ils préjuger ce que je suis avant que je le leur dise ? » assène-t-il, avant d’avouer, dans un soupir, qu’il est le dernier, avec son ami Claude Dagens, ancien évêque d’Angoulême, à ne pas porter d’attribut épiscopal visible. À ses yeux, on doit cette évolution funeste aux mouvements charismatiques, apôtres de « ces signes classiques ». Voilà bien un adjectif qui ne sonne pas comme un compliment dans la bouche de ce personnage qui avoue « ne pas être du sérail » et être aujourd’hui « le seul catholique de sa famille ».
Sa vision de l’Église future, sévère, ne manque pas de pertinence : « Une bourgeoisie catholique va tenir les rênes et veiller au grain. Elle rêve d’une restauration, comme celle que ses aïeux ont réussie au XIXe siècle. » À l’époque, l’Église pouvait s’appuyer sur une réalité sociale : le sens du sacré, intouchable. « Mais, aujourd’hui, tout le monde s’en contrefiche. Et sans assise intellectuelle et mentale, cette restauration ne peut faire naître qu’une Église rétrécie. » Souffrant d’un tel contexte, nombre de fidèles viennent lui avouer leur malaise dans l’Église d’aujourd’hui. Le vieux sage leur propose une alternative. « Trouvez trois ou quatre amis et essayez de vivre des relations évangéliques. Demandez-vous comment être signifiant dans le monde et quel est l’essentiel de votre foi. Je rencontre de tels groupes informels, en lien par Internet, se réunissant de temps en temps. » Un appel à l’invention, pour vivre une quête spirituelle en liberté.
Interrogé par Le Monde le 3 avril 2010, l’archevêque de Poitiers déclarait : « Ce n’est pas en accusant la société de tous les maux qu’on éclaire les gens. C’est à nous d’apprivoiser le monde et c’est à nous de nous rendre aimables. » Neuf ans plus tard, il reprend l’idée avec une métaphore gastronomique : « Le problème n’est pas de savoir si l’on est mangé, mais de savoir si l’on est comestible. »
En regardant du côté de Rome, Mgr Rouet ne désespère pas de l’avenir. « Le pape François prend le bon chemin. Mais il n’aura pas le temps de tout faire, on a le même âge ! » Les nominations épiscopales l’irritent. « Pourquoi le Vatican nomme-t-il des prêtres à qui personne n’avait pensé ? Avant, les évêques régionaux avaient leur mot à dire. » Lucide, il sait que sa voix porte peu auprès de ses pairs de la nouvelle génération. « J’essaie de penser. Si c’est à contre-courant, tant pis. »
Patrick Nathan
* Entretiens avec Yves de Gentil-Baichis, Bayard, 2001.
** Croire, mais en quoi ? Quand Dieu ne dit plus rien, Éditions de l’Atelier, 2019, 304 p., 20 €