Dans son ultime opus, Pour un christianisme d’avenir (voir TC du 16 mai 2019), l’évêque épiscopalien John Spong livre la quintessence d’une foi très originale. En France, les précédents livres de ce détonnant théologien américain ont connu un succès inattendu. Il est très apprécié en milieu protestant libéral. « On peut lire Spong dans le métro ou dans le bus, assure Abigaïl Bassac, qui l’a découvert durant ses études de théologie. Les autres ouvrages portant les mêmes idées étaient érudits et scientifiques. »
La jeune femme a été l’interprète du théologien lors de la conférence qu’il a donnée à Paris en 2014 à la paroisse protestante de l’Oratoire du Louvre (1). Abigaïl Bassac n’a pas hésité à proposer les thèses sulfureuses de John Spong sur la Résurrection ou sur la naissance de Jésus à des enfants de 7 ans. « Ils n’ont pas été choqués », assure-t-elle. « Croire qu’une vierge accouche ou dire, comme Spong, qu’une femme précaire donne naissance à quelqu’un comme Jésus : où est la Bonne Nouvelle ? » Jean-Pierre Capmeil, paroissien et catéchiste à l’Oratoire du Louvre, apprécie « l’audace et le courage peu commun » de Spong, lequel « débarrasse le christianisme d’un discours sur Dieu d’un autre temps » et lutte « contre un littéralisme peu crédible et trompeur ». Plusieurs paroisses luthéro-réformées, principalement dans la mouvance libérale, ont proposé d’étudier les précédents ouvrages de l’évêque épiscopalien.
En milieu catholique, pourtant moins enclin à la diversité théologique et à lecture de penseurs venus d’autres courants du christianisme, Spong a aussi ses adeptes. Au Mans, le service de formation permanente du diocèse a osé proposer en 2017 un parcours autour de son ouvrage La Résurrection, mythe ou réalité ? (Karthala, 2016). Une soixantaine de personnes ont suivi les séances mensuelles, dont un tiers venant du groupe Chrétiens en marche 72, du réseau de la Conférence catholique des baptisé·e·s francophones. Pour rassurer le diocèse sur le caractère sérieux de l’aventure, les animateurs ont fait intervenir le père Gérard Billon, bibliste reconnu par l’épiscopat et peu suspect d’hérésie. « Nous avons envoyé nos comptes rendus à l’évêque, et personne n’a protesté », raconte le jésuite Noël Barré, l’un des concepteurs du parcours.
En démarrant le parcours des catholiques manceaux, cet ancien prêtre ouvrier, habitué aux groupes de lecture biblique, avançait qu’à la lumière de l’évêque épiscopalien il était « possible aujourd’hui de retrouver l’expérience spirituelle des disciples, affirmant que Jésus est vivant. Spong questionne, oblige à nous interroger ».
« La lecture de Spong, éclairée par les interventions des animateurs du groupe, a bousculé et transformé ma compréhension des Écritures, affirme une enseignante retraitée. J’en suis revivifiée. Et je ne suis pas la seule dans ce cas. » La septuagénaire, qui dit « nager entre les eaux du catholicisme et du protestantisme », reconnaît que « beaucoup de choses » lui posaient problème dans les Évangiles, mais que, pour autant, elle « prenait tout au premier degré ». Après ce travail, elle s’étonne de n’avoir pas pensé avant que l’Évangile est « une reconstruction du vécu du Christ ». Cette année de fréquentation du théologien américain lui a permis de « mettre en accord » sa foi et son intelligence. « Avant, c’était un peu baroque et invraisemblable. »
Lire Spong n’est pas sans risque et s’y lancer en solitaire sans expérience de lecture biblique demeure périlleux. « On ne sait plus bien comment lire l’Évangile », a reconnu un participant du groupe du Mans. « Autour de moi, des amis ne veulent pas admettre la moindre remise en cause », ajoute l’enseignante retraitée, pourtant persuadée que « si l’on expliquait aux gens la foi de Spong, ils adhéreraient au christianisme plus facilement ». Le protestant Jean-Pierre Capmeil ne pense pas autre chose en affirmant que l’objectif de l’évêque épiscopalien consiste à « rendre de nouveau audible le discours chrétien ».
Noël Barré met en garde contre le risque de créer un gourou. « Spong n’est pas le fin du fin » de la théologie et « il ne s’agit pas de prendre pour argent comptant ses thèses ». Les animateurs de l’atelier manceau ont invité leurs étudiants à se nourrir à d’autres sources. Les travaux de Joseph Moingt (2) ou de José Antonio Pagola (3) sont très populaires aussi auprès des lecteurs de l’Américain.
« C’est du roman, mais cela me permet de relire les Évangiles d’une autre manière », a reconnu le père Billon, à l’heure de faire le bilan du groupe du Mans. Une façon, pour le président de l’Alliance biblique française (4), de dire qu’une lecture quelque peu transgressive peut toujours être bénéfique pour sa propre foi.
Philippe Clanché
1. Il est également intervenu chez les catholiques progressistes de Saint-Merry.
2. Voir TC 3804 du 27 décembre 2018.
3. Exégète espagnol, notamment auteur de Jésus, approche historique (Les éditions du Cerf, 2012).
4. Organisme œcuménique en charge notamment des traductions en français. www.alliancebiblique.fr