Il était l’unique candidat. Les cent quatre-vingt-neuf gouverneurs de la Banque mondiale, l’une des deux grandes institutions financières créées par les accords de Bretton Woods au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, n’ont pas eu à hésiter longtemps avant d’opter pour le candidat de l’administration Trump. Un Américain de 63 ans, David Malpass, succède ainsi à un autre Américain, Jim Yong Kim, à ce poste hautement stratégique pour le financement du développement international. La Banque mondiale compte plus de dix mille employés dans le monde et prête une quarantaine de milliards de dollars par an aux pays en voie de développement.
Les critiques avaient pourtant commencé à pleuvoir avant même l’élection, tant sur le profil du futur président que sur le processus de sélection à la tête de l’institution, de plus en plus contesté. Le poste revient en effet automatiquement à un Américain, en vertu d’un accord tacite toujours respecté, selon lequel les deux institutions sont respectivement dirigées par un ressortissant des États-Unis pour la Banque mondiale, et un Européen pour le Fonds monétaire international. Or, les pays en voie de développement dissimulent mal une frustration croissante. Lors de l’élection du précédent président, Jim Yong Kim, la stature impressionnante de la candidate nigériane, la ministre des Finances Ngozi Okonjo-Iweala, avait déjà fait vaciller le processus, un risque que personne n’a voulu prendre à nouveau cette fois-ci : le candidat libanais Ziad Hayek a affirmé avoir subi des pressions pour se retirer de la course, ce que son gouvernement a démenti.
Dans ces conditions, le profil de David Malpass, ancien économiste en chef de Bear Sterns, l’institution financière dont la faillite a inauguré la crise financière de 2008, est apparu incongru. De nombreux fonctionnaires internationaux ont émis des doutes sur le choix de celui qui était jusque-là sous-secrétaire au Trésor américain et avait fait des déclarations critiques envers certains des engagements de la Banque mondiale. Notamment au sujet du climat : en décembre dernier, l’institution a annoncé doubler son investissement quinquennal dévolu à la lutte contre le changement climatique pour le porter à 200 milliards de dollars. Une trentaine d’ONG ont écrit une lettre ouverte au conseil d’administration de la Banque pour demander que le nouveau président ne revienne pas sur ces objectifs.
C’est dire à quel point David Malpass était attendu au tournant pour ses premiers pas de président. En bon politique, il est apparu bien préparé et rassurant lors de ses premiers entretiens avec les représentants des pays actionnaires de la Banque et son management. Mais cela n’a pas entièrement dissipé les inquiétudes de la communauté du développement sur la continuité des engagements de la Banque, comme le souligne l’une des personnes présentes à ces réunions, Jolie Schwarz, conseillère à l’ONG Bank Information Center : « Je pense que la question a été posée plusieurs fois et de différentes manières au cours de la semaine, et ceux qui y ont répondu, y compris les directeurs exécutifs de la Banque, qui ont une vue d’ensemble sur toute l’institution, se sont dits quasi certains que le président Malpass continuera le travail important de la Banque mondiale dans le domaine du changement climatique. »
Fin connaisseur de l’institution, où il a travaillé une trentaine d’années en tant que directeur, Olivier Lafourcade, président du conseil d’administration du fonds français de développement Investisseurs & Partenaires, rappelle que la Banque « est sur une dynamique dont on ne peut pas changer l’orientation et la direction du jour au lendemain, d’autant que ses objectifs et son mandat – réduire la pauvreté, contribuer à un monde meilleur pour tout le monde – ont été validés par tous les pays. Ils sont incontournables ». Tout comme le management de l’institution, composé de professionnels reconnus du développement : « David Malpass va avoir une période d’apprentissage avec la Banque, comme la Banque aura une période d’apprentissage avec lui. »
Reste à savoir comment le nouveau président va composer avec les conceptions souvent conflictuelles qu’ont des missions de la Banque l’administration Trump et les différents pays actionnaires. À Washington, Jolie Schwarz entend surveiller de près les promesses du nouveau président : « Un engagement à continuer ne suffit pas. Nous voulons vraiment que le président Malpass encourage la Banque à faire preuve d’encore plus d’ambition pour aider le monde à combattre cette crise du climat. »
Laurence Soustras
Photo : World Bank Photo Collection (CC BY-SA 2.0)